vendredi 28 octobre 2016

Un Bûcher sous la neige

"Nous sommes une magie, nous-mêmes. La magie la plus vraie de ce monde est en nous, Monsieur Leslie. Elle est dans nos mouvements et dans ce que nous disons et sentons."


Auteur : Susan Fletcher
Titre VO : Corrag
Traduction : Suzanne V. Mayoux
Edition : J'ai Lu
Genre : Historique
Date de parution : 29 mars 2013
Nombre de pages : 475
Prix : 8 €


4e de couverture

Au cœur de l'Ecosse du XVIIe siècle, Corrag, jeune fille accusée de sorcellerie, attend le bûcher. Dans le clair-obscur d'une prison putride, le révérend Charles Leslie, venu d'Irlande, l'interroge sur les massacres dont elle a été témoin. Mais, depuis sa geôle, la voix de Corrag s'élève au-dessus des légendes de sorcières et raconte les Highlands enneigés, les cascades où elle lave sa peau poussiéreuse. Jour après jour, la créature maudite s'efface. Et du coin de sa cellule émane une lumière, une grâce, qui vient semer le trouble dans l'esprit de Charles.

Mon Avis

Ce roman sorti il y a trois ans est un coup de folie. Un achat que j'ai effectué sur un coup de tête, en écoutant juste mon instinct. J'aurais pu me contenter d'attendre l'hiver avant de me l'offrir, mais c'était impossible lorsque j'ai lu : "Ecosse", "sorcellerie", "massacres" et "légendes". Je m'attendais à lire un roman fantastique ordinaire. Je me suis trompée. Non seulement c'est un roman historique, mais aussi il m'a transportée dans les Highlands, et à travers les mots, j'ai pu voyager et m'émerveiller de chaque petite chose qu'offre la nature. Vous l'aurez compris, ce roman est une merveille.

Glencoe

Tout commence par le récit à la première personne de Corrag, jeune fille emprisonnée, accusée de sorcellerie, qui attend le bûcher. Elle a été témoin du massacre de Glencoe qui a réellement eu lieu en 1692. Les soldats du roi protestant Guillaume d'Orange ont en effet perpétré le massacre d'un clan, les MacDonalds, qui avait tardé à prêter allégeance au roi. Charles Leslie, prêtre, est un partisan du roi catholique déchu, Jacques II. Il cherche à savoir si les soldats du roi actuel ont bien assassiné les MacDonalds. Il se rend donc à la prison où Corrag est enfermée pour recueillir son témoignage. La jeune fille accepte de tout lui dire, sous une condition : il doit écouter son histoire.

Ce roman historique est particulier. Il se compose de cinq parties. Chaque partie se présente sous forme de chapitres aux noms de plantes médicinales : "de la Pivoine" ; "de la Consoude" ; "de l'Anémone", etc. Pourquoi ? La raison est simple : Corrag connaît tout des plantes dont elle se sert pour soigner. Au-dessus de chaque nom de plante, on trouve quelques lignes sur leurs vertus, comme un herbier. Original et instructif.
Le livre fait moins de 500 pages, mais il est tout de même dense. C'est à mon sens un roman dont il faut prendre le temps de lire, sans précipitation.
Troisième point, tout le récit de Corrag est au style indirect. Elle ne s'adresse pas à nous, lecteurs, mais à Charles :

"Entrez.
Vous vous assoyez ?
Je vois le regard que vous me lancez.
Ils ont tous ce regard quand ils me voient pour la première fois." (p.45).

Ce style peut dérouter, mais on s'y habitue assez vite. J'avais l'impression d'être à côté de ces deux personnages et d'écouter moi aussi l'histoire de Corrag.
Ces bouts de récits sont séparés par les lettres de Charles à sa femme restée en Irlande. Nous connaissons le point de vue de Charles sur Corrag et la situation politique de l'époque qu'à travers ses écrits.

Ainsi, le roman est centré sur l'histoire de Corrag, sa grand-mère accusée injustement de sorcellerie et qui a subi un châtiment cruel ; sa mère Cora considérée elle aussi comme une sorcière, mais qui a décidé d'assumer complètement son mode de vie particulier. Elle et Corrag ont toujours été mise à l'écart, accusées à tort de sorcières pour des raisons insignifiantes : elles vendaient des plantes médicinales, n'allaient pas à l'église, vivaient comme des "misérables". Corrag était considérée comme "l'enfant du diable". Cependant, ce roman brillant nous montre que "le diable n'existe pas, il y a seulement les coutumes diaboliques de l'homme. C'est l'homme (...) qui fait tout le mal" (p. 67).
Il s'oppose également à la poiitique, aux rois et aux religions, qui n'apportent que des guerres sanglantes.

Glencoe

Mais il fait la part belle à la nature. Ce roman est une ode à la nature, aux animaux :
"Les animaux n'ont pas gueuse ou sorcière en tête. Voilà pourquoi ils sont tellement raisonnables et dignes, ils voient seulement si on les traite bien ou mal. C'est comme ça que nous devrions être tous" (p.99). On contaste en effet à quel point Corrag aime sa jument, qui lui a sauvé la mise maintes fois, et à quel point elle respecte les animaux.

Au fil des lettres de Charles Leslie, on remarque qu'il change progressivement d'opinion sur Corrag : de sorcière, de créature misérable, elle est admirée par son courage et par son don d'éloquence. En effet, lorsqu'elle parle de la beauté des Highlands, comme le prêtre, on a l'impression de la contempler nous aussi :
"Là, il y avait des étangs tellement immobiles qu'on y voyait un second ciel, et si un oiseau passait au-dessus ça faisait deux oiseaux. La bruyère bruissait quand venait un coup de vent. Il dévalait comme de l'eau sur les rochers et le flanc des collines, se secouait, perçant, presque blanc. Il sifflait à travers les crânes de bestiaux, et ma chevelure battait comme une aile contre ma joue, disant vole vole vole, et quand le vent s'en allait j'entendais bourdonner des abeilles." (p.152).
 Le message de Corrag est simple : se recentrer sur la nature, sur les petits bonheurs qu'elle nous offre chaque jour.

Rannoch Moor

Je vais décevoir les fans de sorcellerie, mais il n'y a pas de magie dans ce roman. Enfin, presque. Il y a des éléments de fantastique, mais pas de formule prononcée. La seule magie pour Corrag, c'est celle du cœur, celle qui est en nous.

Ce livre enfin nous transmet un message sur la mort, notamment l'importance de parler des morts afin que vivent pour un instant ceux qui nous ont quitté. L'idée également que la vie laisse toujours des traces. Des messages qui m'ont interpellée et qui m'ont fait réfléchir.

En conclusion, Un Bûcher sous la neige est un roman historique magnifique, qui rend hommage à la Nature et qui nous apprend beaucoup : sur cette période sombre de l'histoire de l'Ecosse, sur cette horrible chasse aux sorcières, sur la bêtise humaine. Ce roman dénonce également la religion, la politique et les lois des hommes, toutes néfastes, qui ne servent qu'à verser le sang.
A la fin du roman, l'auteure a écrit une postface très instructive sur l'après-massacre de Glencoe, de quoi nourrir notre curiosité. Tout le récit est cohérent et donne envie d'en savoir plus, de s'aventurer en Ecosse sur les pas de Corrag, qui aurait réellement existé.
Ce roman est juste, et est en vérité terriblement actuel... "Tellement de haine dans le monde. Tellement de tristesse" nous dit Corrag. Nous oublions notre âme, nous aussi. Il est peut-être temps de se recentrer sur ce qui est vraiment important.
"Tout ce que j'aimais m'entourait, rivières, rochers. Les bêtes. Les bruits du vent. Et je leur en étais reconnaissante. J'étais reconnaissante, car parmi eux je pouvais guérir les blessures en moi, les pertes, le chagrin. Ce que mon âme avait de meurtri, je pouvais le soigner et le nourrir dans ma cabane, ou sur les hauteurs, et qui en fait autant ? De nos jours, qui prend le temps de soigner son âme ? Peu de gens, à mon idée." Des mots saisissants, magnifiques que je ne suis pas prête d'oublier.


Ma note : 20/20

COUP DE COEUR



A bientôt pour une prochaine chronique ^^










4 commentaires:

  1. Tu donnes envie de découvrir les Highlands et ce roman ! Merci beaucoup pour la découverte :)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne peux que te le conseiller ! J'ai beaucoup appris avec ce livre :)

      Supprimer
  2. Ca fait deux fois que je la lis cette sublime chronique. J'avais l'impression d'y être tellement tu en parles magnifiquement.
    Alors que cela pourrait être un roman qui me rebute s'il y a trop de descriptions et bien là, non, tu m'as mis l'eau à la bouche.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci encore Gabyelle :)
      Il y a des descriptions, mais pour moi elles ne sont pas longues. Mais le roman est assez dense, il faut prendre son temps pour le lire. Un excellent roman d'hiver :)

      Supprimer