mercredi 7 décembre 2016

Glacé

"Il avait l'impression d'être un légiste qui déterre un doigt, puis une main, puis un bras, puis le cadavre entier. Il se sentait de plus en plus inquiet. Tout, dans cette histoire, était extraordinaire. Et incompréhensible. D'instinct, comme un animal, Servaz percevait le danger. Il se rendit compte qu'il frissonnait, malgré le soleil."


Auteur : Bernard Minier
Edition : Pocket
Genre : Thriller
Date de parution : 10 mai 2012
Nombre de pages : 736
Prix : 8,50 €
Prix Kindle : 12,99 €


4e de couverture

Dans une vallée encaissée des Pyrénées, au petit matin d'une journée glaciale de décembre, les ouvriers d'une centrale hydroélectrique découvrent le corps sans tête d'un cheval, accroché à la falaise.
Ce même jour une jeune psychologue prend son premier poste dans le centre psychiatrique de haute sécurité qui surplombe la vallée.
Le commandant Servaz, flic hypocondriaque et intuitif, se voit confier l'enquête la plus étrange de toute sa carrière.


Mon Avis

Je ne fais vraiment pas les choses comme tout le monde... Après avoir lu et adoré Une putain d'histoire, le dernier thriller de Bernard Minier (ma chronique), je me suis attaquée à son premier roman, Glacé. Pour mon excuse, on suit à travers ses trois premiers thrillers, le commandant Servaz et ses co-équipiers de choc, donc je devais logiquement commencer par le premier volet. Ce petit pavé de 730 pages est tellement dense et intelligemment brillant qu'il fallait que je vous en parle.

Un matin glacial de décembre, des ouvriers d'une centrale hydroélectrique découvrent le corps d'un cheval décapité et dépecé à la moitié, accroché à la falaise. Le commandant Servaz et le capitaine Ziegler se chargent de cette affaire inhabituelle. Qui s'en sont pris au cheval préféré d'Eric Lombard, un homme d'affaires puissant et très influent ? Et pourquoi ? Pendant ce temps, Diane Berg, jeune psychologue, prend son poste dans l'imposant et angoissant centre psychiatrique dans lequel sont enfermés les individus les plus dangereux d'Europe. Elle se rend compte rapidement que les méthodes employées par les médecins sont plus que controversées... Le ou les coupables se trouvent-ils parmi les patients du centre ?

En premier lieu, les personnages sont extrêmement bien travaillés. Servaz est un flic qui se considère comme quelqu'un de "sérieux, coriace et probablement ennuyeux" (il est Capricorne, le meilleur signe astrologique, n'est-il pas ? ^^), il emploie régulièrement des expressions latines (Quos vult perdere Jupiter prius dementat = "Ceux que Jupiter veut perdre, il les rend d'abord fous." - p. 488) et il est doté d'un instinct qui se révèle très efficace pour la résolution de ses enquêtes. On découvre également par la suite qu'il a vécu enfant un traumatisme profond, et il lui arrive fréquemment d'en faire des cauchemars. Espérandieu, l'adjoint de Servaz, est aussi un personnage très intéressant, étonnant, qui donne une tonalité un peu plus "optimiste" à ce roman sombre :

"Comme d'habitude, son adjoint était au bureau avant tout le monde. Servaz l'imagina en train de lire une BD japonaise ou de tester les nouvelles applications informatiques de la police, une mèche retombant sur le front, vêtu d'un pull griffé à la dernière mode choisi par son épouse." (page 102).


Les personnages féminins sont par ailleurs remarquables par leur force, leur courage, leur détermination. Ziegler et D'Humières sont en effet des femmes qui ont des responsabilités et qui n'ont pas froid aux yeux, tandis que Diane, quoique plus sensible, ne manque pas de courage en enquêtant de son côté sur les événements étranges qui se déroulent au centre.

J'ai envie de considérer le décor du roman, la montagne enneigée, comme un personnage à part entière. L'auteur prend si bien le soin de décrire les paysages de cette vallée des Pyrénées, qu'elle en devient à la fois fascinante, mystérieuse et inquiétante. De même que le centre psychiatrique, qui ressemble à une forteresse ou une prison sinistre.

Dans ce thriller, j'ai retrouvé des thèmes communs avec Une putain d'histoire, comme des pistes de réflexion sur les nouvelles technologies et leur impact sur notre liberté et notre pensée :

"Mais il savait au moins au chose : il n'existait pas de technologie innocente. Dans ce monde technologique et interconnecté, les interstices de liberté et de pensée authentiques se faisaient de plus en plus rares. A quoi correspondait cette frénésie d'achats, cette fascination pour les gadgets les plus superflus ?" (page 186).


L'auteur insiste là aussi sur le comportement des enfants, influencés par notre société de consommation de masse, leur confrontation quotidienne et désormais habituelle à la violence... Les médias et Internet comme vecteurs de la folie humaine... Des sujets qui font réfléchir.

Dans son premier roman, l'auteur nous apprend beaucoup sur les méthodes de soin dans les centres psychiatriques. Dans le centre où Diane est accueillie, les doses des médicaments sur les patients les plus dangereux dépassent largement les normes recommandées. Les électrochocs sans anesthésie sont pratiqués "dans un but d'ordre public" (p.138). En effet, certains patients sont chimio-résistants à des médicaments, donc la dose est doublée voire même quadruplée. D'autre part, notre rapport au Mal est aussi évoqué dans le roman : y'a-t-il deux humanités distinctes ? Les psychopathes et les autres ? Bref, l'auteur nous plonge dans l'univers intriguant de la psychiatrie. Cela donne à réfléchir sur les conditions de soin de ces établissements et sur la nature humaine au sens large.

Ensuite, Glacé présente plusieurs originalités : des références culturelles peu nombreuses dans les thrillers classiques à mon sens. D'abord, ces références aux contes, qui illustrent à merveille le décor si singulier de la montagne :

"Cette vallée était d'une beauté terrassante, qui transit Servaz.
Une atmosphère de conte de fées.
C'était bien ça : une version moderne et adulte des sinistres contes de fées de son enfance. Car, au fond de cette vallée et de cette forêt blanche, songea-t-il en frissonnant, c'étaient bien des ogres qui les attentaient." (p. 266).

Les noms de certains personnages comme Grimm et Perrault renforcent cette impression.

Comment ne pas succomber aux références littéraires parsemées dans le roman ? L'auteur cite une strophe d'"Au Lecteur" de Baudelaire et la première phrase de "la Chute de la Maison Usher" de Poe ; nomme Les Ethiopiques d'Héliodore et La Guerre des Gaules, œuvres de la littérature classique. J'ai adoré retrouver de telles références dans un thriller. Par ailleurs, la musique n'est pas en reste dans ce roman. J'ai découvert les symphonies de Mahler, les préférées de Servaz. J'ai lu le roman en les écoutant et je vous invite à faire de même, c'est un vrai bonheur.

Enfin, le rythme haletant et le suspense sont une fois de plus au rendez-vous, même si je préfère largement le dénouement d'Une putain d'histoire. Mais il faut dire que Glacé est le premier roman de Bernard Minier, donc la plume de l'auteur a eu le temps d'évoluer depuis. Le style de l'auteur a sensiblement changé : dans Une putain d'histoire, je le trouve plus incisif, plus brut. Néanmoins, j'ai retrouvé là les enquêtes très complexes, les secrets enfouis au sein d'un village, les personnages à la psychologie approfondie et travaillée, la perversion, la cruauté, cette notion de la vengeance. Le défaut que je pourrais noter toutefois, ce sont les longueurs. Au début, j'ai senti que l'enquête avait du mal à démarrer, j'avais l'impression de ne pas "avancer" dans l'intrigue. Mais ce sentiment-là s'est effacé, et j'ai été totalement happée par l'histoire.

En conclusion, Glacé est un thriller réussi, à l'intrigue bien ficelée, avec du suspense et un rythme de plus en plus prenant. Des personnages bien construits et attachants, une enquête qui semble impossible à résoudre, des secrets enfouis dans un village isolé, des réflexions pertinentes sur les soins psychiatriques, la violence, le Mal ou la technologie rendent le roman riche et fascinant. Ses références littéraires et musicales m'ont enchantée. J'en suis maintenant certaine : Bernard Minier fait partie de mes auteurs préférés. J'attends impatiemment son nouveau roman (qui devrait sortir en février 2017 il me semble) et l'adaptation télé de Glacé sur M6 !

Ma note : 17/20

A bientôt pour une prochaine chronique ^^











6 commentaires:

  1. Awh, je l'ai moi aussi adoré ! :) L'ambiance surtout, glaçante (sans mauvais jeu de mots) : j'ai particulièrement aimé les passages qui se déroulaient dans le centre de détention/psychiatrique. D'ailleurs, si tu penses à d'autres romans un peu similaire, qui se déroulent au cœur d'un hôpital psychiatrique, je suis plus que preneuse !! :)

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    1. C'est exactement ce que j'ai pensé aussi : ce livre est glaçant ! :D
      Je pense à un roman qui se passe dans un hôpital psychiatrique dans les années 50 : "La Chambre des âmes" de F.R. Tallis (publié chez 10/18 je crois). Je ne l'ai pas lu mais il me semble intéressant.
      Je me demande aussi si Séverine de la chaîne Il est bien ce livre n'a pas lu et adoré récemment un roman se déroulant dans un hôpital psychiatrique ? Si j'en vois d'autres, je te ferai signe :)
      Belles lectures !

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  2. Il me semble que je l'ai vu plusieurs fois à Emmaüs, mais j'ai jamais pris le temps de vraiment m'y intéresser. Mais j'avoue que ton avis me donne envie, du coup la prochaine fois que je le vois je le prends :)

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    1. Je te le conseille ! N'hésite surtout pas :)
      Belles lectures à toi !

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  3. Je savais qu'il te plairait celui-là. Non, bien sur, je ne l'ai pas lu mais mon mari a adoré. Alors comme vous aimez à peu près les mêmes choses^^.
    P.S. : Encore un bon feel-good^^ ah ah ah

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    1. Oui, en effet pour le feel good, je repasserai :D
      Mais j'en lirai bientôt :) Noël approche ^^
      Gros bisous !!

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