mardi 20 février 2018

"Le Pouvoir" de Naomi Alderman

La peur a changé de camp

"Tout ce qui compte, c'est qu'elle le pourrait si elle le voulait.
Le pouvoir de nuire, de faire mal, est
une forme de richesse."


Présentation de l'éditeur


ET SI LES FEMMES PRENAIENT ENFIN LE
POUVOIR DANS LE MONDE ENTIER ?
 
Aux quatre coins du monde, les femmes
découvrent qu'elles détiennent le "pouvoir".

Du bout des doigts, elles peuvent infliger
une douleur fulgurante - et même la mort.

Soudain, les hommes comprennent
qu'ils deviennent le "sexe faible".

Mais jusqu'où iront les femmes
pour imposer ce nouvel ordre ?


Mon Avis

Octobre 2017 : l'affaire Weinstein éclate et fait le tour de la planète. Les hashtags #MeToo et #BalanceTonPorc inondent les réseaux sociaux, les médias en parlent massivement. Les femmes ne redoutent plus de témoigner lorsqu'elles ont été victimes d'agressions. Ces hommes coupables de tels actes ont peur d'être dénoncés. Dans Le Pouvoir de Naomi Alderman, paru en janvier chez Calmann-Lévy, les femmes ont une arme physique : elles portent en elles un faisceau électrique qui peut blesser ou tuer par simple contact. La peur change de camp. Les hommes deviennent rapidement le nouveau sexe faible.

"Elle prit l'éclair au creux de sa main. Elle lui commande de frapper.
Il y a un flash lumineux qui crépite et un bruit qui rappelle celui d'un bec en origami. Roxy hume une odeur à mi-chemin entre une pluie d'orage et les cheveux brûlés. Le goût qui enfle sur sa langue est celui des oranges amères. (...) Une longue cicatrice écarlate court le long de son bras depuis son poignet. Roxy la distingue même sous les poils blonds : elle est rouge vif, et dessine un motif qui évoque une fougère, avec des frondes et des vrilles, des bourgeons et des tiges." (page 26)

Mais alors, à quoi ressemble un monde dominé par les femmes ? Le Pouvoir serait-il une utopie ? Pour être claire : non. C'est bel et bien une dystopie. Ce que l'auteure britannique pointe du doigt, c'est la détention d'un pouvoir ascendant sur les autres et son côté destructeur. L'origine du pouvoir que reçoivent les femmes est expliquée scientifiquement au premier tiers du roman. Autant dire que ce roman est de la science-fiction, et plus précisément, de la dystopie. 

Chose originale et extrêmement bien pensée de la part de l'auteure : dès les premières pages, à travers une correspondance, elle a installé une mise en abyme intelligente. Au début du livre, un écrivain, Neil Adam Armon, écrit à l'auteure elle-même et lui demande de lire son manuscrit, un roman historique qu'il a baptisé "Le Pouvoir".

"Ce n'est ni vraiment de l'histoire, ni vraiment un roman, plutôt une "novélisation" de ce que les archéologues s'accordent à reconnaître comme étant l'hypothèse la plus plausible." (page 13)

Il tente d'expliquer dans son roman "Le Pouvoir" ce qu'il s'est passé dix ans avant que le monde soit dirigé par des femmes, lorsque leur monde ressemblait au nôtre, et avant ce qu'ils appellent le "Cataclysme". Un compte à rebours est même installé dans le récit : "Encore dix ans" marque la première partie du livre, et la fin s'intitule "L'heure a sonné". Par ailleurs, Naomi Alderman répond à Neil d'une façon qui nous semble ô combien ironique : "Je sens que je risque d'apprécier ce "monde dirigé par des hommes" dont tu m'as touché deux mots. Il est sûrement plus aimable, plus prévenant et - oserais-je le dire - plus sexy que celui dans lequel nous vivons." (page 15). Le ton est humble, poli et respectueux lorsque Neil s'adresse à Naomi Alderman. Quant à cette dernière, le ton qu'elle emploie à son égard est plutôt bon enfant.

Cette révolution mondiale est racontée à travers quatre personnages principaux : Roxy, adolescente londonienne (l'une des premières à acquérir un faisceau électrique), à la recherche de l'assassin mafieux de sa mère ; Allie, jeune Américaine qui va devenir prophète et fonder une nouvelle religion ; Margot, maire d'une petite ville américaine et mère de famille qui se révèlera très ambitieuse après l'acquisition de son don ; et Tunde, jeune Nigérian, qui filme les émeutes et les renversements des régimes politiques à travers le monde.

Quelles sont alors les conséquences de ce pouvoir fracassant ? Même si les femmes n'ont plus peur de marcher dans la rue à n'importe quelle heure, même si elles ont beaucoup plus d'assurance qu'avant, ce pouvoir a des répercutions néfastes sur l'ensemble du monde : émeutes, meurtres, viols, réductions des libertés des hommes, formations de gangs de femmes, guerres sur le point d'éclater... L'auteure montre avec ce pouvoir que les femmes peuvent devenir libres. Cependant, comme tout être humain qui détient un pouvoir sur les autres, il existe des abus et certaines femmes deviennent criminelles. Ce roman est féministe, mais il souligne que l'être humain - homme ou femme - est facilement corruptible et destructeur par le biais du pouvoir.

"Certaines sont agressives, d'autres méchantes, et maintenant que l'affaire est sur la place publique, certaines rivalisent entre elles pour démontrer leur force et leur savoir-faire."
(page 40)

"Ces gangs de femmes ont mis la main sur les armes, les gilets pare-balles et les munitions qui appartenaient aux organisations criminelles qu'elles ont liquidées. Elles sont devenues pratiquement invincibles." (page 124)

L'originalité, c'est aussi la transmission de ce pouvoir féminin. Usuellement, c'est la mère qui transmet ses connaissances à sa fille. Ici, c'est le contraire. Les jeunes filles transmettent le pouvoir d'envoyer des décharges électriques à leurs mères.

Quant à la fin qui a été perçue par des blogueurs/blogueuses comme précipitée, mal amenée ou brouillonne, je ne suis pas tout à fait d'accord. On a un compte à rebours dès le début du livre qui annonce la venue du "Cataclysme", un retour à zéro. Nous savons d'ores et déjà ce qu'il va se passer à la fin. L'intérêt du récit est de voir les conséquences de cette prise de pouvoir par les femmes, sur tous les plans : physique, politique, social, économique. La fin n'est pas comme "suspendue" ou précipitée. Nous avons en effet un large aperçu des conséquences du Cataclysme à la toute fin du livre, lorsque les deux auteurs reprennent leur correspondance. La fin me semble logique et cohérente, comme il faut.

En bref, Le Pouvoir est un roman féministe, fascinant, foudroyant, mais il reste pessimiste sur le thème de la nature humaine. La peur change de camp. Les femmes prennent le pouvoir, les hommes deviennent faibles et quasi-invisibles. La dimension féministe est bel et bien présente. Naomi Alderman qui a déjà collaboré avec Margaret Atwood dans le passé, a même dédicacé son roman à l'auteure de La Servante écarlate et à son mari. Et grand hasard, un personnage de méchant du Pouvoir porte le nom de Weinstein. Coïncidence encore une fois, son roman Le Pouvoir tombe véritablement à pic en plein débat mondial des rapports hommes-femmes. Naomi Alderman a su avec Le Pouvoir, créer un roman intense, au rythme haletant, d'une intelligence, d'une imagination et d'une cohérence incroyables. Un appel à l'égalité des sexes salutaire, en ces temps assez troubles de notre époque.


Le Pouvoir (The Power), Naomi Alderman, traduit de l'anglais par Christine Barbaste, Calmann-Lévy, janvier 2018, 400 pages, 21,50 €, format numérique : 14,99 €.


S'offrir ou s'offrir Le Pouvoir ? (lien d'affiliation)


A bientôt ^^







1 commentaire:

  1. Je suis entièrement d'accord avec toi. J'avoue que lorsque j'ai vue le nom Weinstein, je me suis dit qu'il devait être vraiment récent.

    La fin m'a plu. Je trouve ça étonnant que d'autres aient trouvé la fin précipitée. Pour moi, ce roman est parfait au point de manipuler le lecteur quand même.

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