dimanche 4 février 2018

Premières lignes #24 : "LaRose" de Louise Erdrich

Ce rendez-vous hebdomadaire a été créé par Ma Lecturothèque.

Le principe est simple : il s’agit de présenter chaque semaine l’incipit d’un roman.

Ce rendez-vous est très intéressant car il nous permet de découvrir en quelques lignes un style, un langage, un univers, une atmosphère.

On choisit le livre que l'on veut : un coup de cœur, une lecture actuelle, un livre de sa PAL, un emprunt à la bibliothèque...

Aujourd'hui, je vous fais découvrir l'incipit du nouveau roman de la romancière américaine Louise Erdrich, LaRose, qui a été un coup de cœur pour moi. J'espère que vous apprécierez ces premières lignes autant que je les ai aimées. Si ce livre vous intéresse, ma chronique se trouve ici. Bonne lecture !


Dakota du Nord, 1999. Un vent glacial souffle sur la plaine et le ciel, d'un gris acier, recouvre les champs nus d'un linceul. Ici, des coutumes immémoriales marquent le passage des saisons, et c'est la chasse au cerf qui annonce l'entrée dans l'automne. Landreaux Iron, un Indien Ojibwé, est impatient d'honorer la tradition. Sûr de son coup, il vise et tire. Et tandis que l'animal continue de courir sous ses yeux, un enfant s'effondre. Dusty, le fils de son ami et voisin Peter Ravich, avait cinq ans.
Ainsi débute le nouveau roman de Louise Erdrich, couronné par le National Book Critics Circle Award, qui vient clore de façon magistrale le cycle initié avec La Malédiction des colombes et Dans le silence du vent. L auteur continue d'y explorer le poids du passé, de l'héritage culturel, et la notion de justice. Car pour réparer son geste, Landreaux choisira d'observer une ancienne coutume en vertu de laquelle il doit donner LaRose, son plus jeune fils, aux parents en deuil. Une terrible décision dont Louise Erdrich, mêlant passé et présent, imagine avec brio les multiples conséquences.


DEUX MAISONS

1999-2000




La porte



     C'est là où la limite de la réserve coupait en deux, de manière invisible, un épais bosquet - merisiers, peupliers, chênes rabougris - que Landreaux attendait. Il affirma qu'il n'avait pas bu ce jour-là, et par la suite on ne trouva aucune preuve du contraire. C'était un catholique pieux et respectueux des coutumes indiennes, un homme qui, lorsqu'il abattait un cerf, remerciait un dieu en anglais et faisait une offrande de tabac à un autre en ojibwé. Il était marié à une femme encore plus pieuse que lui et avait cinq enfants qu'il tâchait de nourrir et d'élever de son mieux. Son voisin, Peter Ravich, possédait une grande ferme, un assemblage bricolé d'anciennes parcelles indiennes ; il cultivait des champs de maïs, de soja et d'herbe à fourrage en bordure de la réserve, à l'ouest. Ravich, Landreaux et leurs épouses, qui étaient demi-soeurs, faisaient du troc : des œufs contre des cartouches, une place dans une voiture pour aller en ville, des vêtements d'enfant, des pommes de terre contre de la farine - ce genre de choses. Leurs gamins jouaient ensemble alors qu'ils fréquentaient des écoles différentes. On était en 1999 et Ravich ne parlait que du nouveau millénaire, expliquait qu'il installait des sources d'énergie alternative, achetait des logiciels spéciaux pour son ordinateur, faisait des stocks de produits de première nécessité ; il avait même rempli d'essence une vieille cuve enterrée à côté de sa cabane de jardin. Il s'attendait à ce qu'il se passe quelque chose, mais pas à ce qui allait se passer. 
     Landreaux avait suivi les allées et venues du cerf tout l'été, en attendant pour le prendre, bien gras, que le maïs soit tout juste moissonné. Comme toujours, il en donnerait une part à son voisin. L'animal avait ses habitudes et prenait ses aises sur son chemin. Il restait aux aguets jusqu'en milieu d'après-midi, puis il s'aventurait à découvert avant le crépuscule, franchissait la limite de la réserve pour brouter au bord des champs de Ravich. Il s'avançait à présent le long du sentier, s'attardait pour flairer l'air. Landreaux était sous le vent. Le cerf se retourna pour jeter un coup d'œil au champ de maïs, offrant une cible idéale. Landreaux, excellent tireur, avait commencé à chasser le petit gibier à l'âge de sept ans, avec son grand-père. Il fit feu d'un geste confiant et fluide. Quand la bête s'enfuit d'un bond, il se rendit compte qu'il avait touché autre chose - il y avait eu comme un mouvement désordonné lorsqu'il avait appuyé sur la détente. S'étant approché pour voir, il baissa les yeux et ne comprit qu'à ce moment-là qu'il avait tué le fils de son voisin.


LaRose (LaRose), de Louise Erdrich, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinharez, Albin Michel, collection "Terres d'Amérique", janvier 2018, 528 pages, 24 €, format numérique : 16,99 €.


Je vous souhaite un très bon dimanche et de belles lectures.

A demain ^^








2 commentaires:

  1. Ce début est super intrigant ! Ce n'est pourras la première fois que je vois passer ce livre, en plus, donc je deviens vraiment curieuse !

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    1. Je te le conseille, il est vraiment enchanteur. Et comme tu vois, l'auteure n'y va pas par quatre chemins pour poser son intrigue :)

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