mercredi 11 avril 2018

"Goodbye, Loretta" de Shawn Vestal

Ils rêvaient juste de liberté

"Elle est certaine que son avenir est un lieu bien précis, une destination qu'elle atteindra ou qu'elle manquera, et qui l'attend là-bas, loin de tout ce qu'il y a ici. Loin des longues robes de coton. Loin des journées fastidieuses à l'école religieuse, à étudier les mêmes Saintes Ecritures à longueur de dimanche."



Présentation de l'éditeur

Short Creek, Arizona, 1974. Loretta, quinze ans, vit au sein d'une communauté de mormons fondamentalistes et polygames. Le jour, elle se plie à l'austérité des siens, la nuit, elle fait le mur et retrouve son petit ami. Pour mettre un terme à ses escapades nocturnes, ses parents la marient de force à Dean Harder, qui a trente ans de plus qu'elle, une première femme et déjà sept enfants...
Loretta se glisse tant bien que mal dans son rôle d' « épouse-soeur », mais continue à rêver d'une autre vie, qu'elle ne connaît qu'à travers les magazines. La chance se présente finalement sous les traits de Jason, le neveu de Dean, fan de Led Zeppelin et du Seigneur des anneaux, qui voue un culte au cascadeur Evel Kneievel. C'est le début d'une aventure mémorable aux allures de road trip vers la liberté qui va vite se heurter à la réalité...
Un superbe roman, profond et drôle à la fois, qui nous plonge au coeur de la mythologie de l'Ouest américain, tant sacrée que profane.


Mon Avis


Loretta est éprise de liberté. Dès la première page, cette jeune fille de 15 ans s'extirpe de la maison de ses parents pour retrouver en cachette son petit ami, Bradshaw. A peine faisons-nous sa connaissance, elle cherche déjà à s'échapper. Nous sommes en 1974 en Arizona, dans une petite bourgade où vit une communauté de mormons. Les parents de Loretta en font partie et la jeune fille ne rêve que d'une chose : partir loin de Short Creek pour vivre la vie d'une jeune femme "normale", moderne.

"Loretta ne s'est jamais sentie à sa place ici. (...) Elle n'a pas envie de vivre dans une de ces familles étranges et tentaculaires, où les hommes sont entourés de constellations d'épouses et d'enfants. Elle s'imagine un avenir proche des publicités de magazines qu'elle entrevoit dans les boutiques, au salon de coiffure (...). Des vêtements modernes, des voitures rapides, du maquillage, des tours d'immeubles qui brillent dans la nuit, des cigarettes, des cocktails, et tout ce qui est interdit. Elle adore cette publicité pour du rouge à lèvres dans laquelle une belle fille en jean noir allongée sur le capot d'une Mustang rose sourit d'un air narquois à l'objectif. Le nom du rouge à lèvres ressemble à un mot de passe : Tussy." (pages 20-21).

Son père apprend ses escapades nocturnes et convaincu que l'âme de sa fille est en "péril", il prend une décision radicale. A 15 ans, Loretta est donnée en mariage à Dean, la quarantaine, déjà marié et père de sept enfants... Loretta, séparée de ses parents, devient "épouse-sœur", sa deuxième épouse. Son avenir est désormais réduit à une vie terne, consacrée aux prières, aux corvées ménagères et à enfanter. Au cœur de cette communauté mormone polygame fondamentaliste, les femmes n'ont pas leur mot à dire. Ce mariage forcé avec un homme proche de la cinquantaine et ses conséquences sont terrifiants pour la jeune fille.

"Dean avait rougi, ses énormes oreilles étaient devenues écarlates, et, même si Loretta le connaissait à peine, même si elle n'avait que quinze ans, elle avait vu dans ses petits yeux de lapin que ce n'était pas le royaume céleste qu'il avait à l'esprit." (page 38)

Dean décide de séjourner chez son frère accompagné de Ruth - sa première épouse -, de ses enfants et de Loretta, suite au décès de son père. Son frère, sa femme et son fils Jason sont tous issus d'une communauté mormone ordinaire, c'est-à-dire monogame et somme toute assez tolérante envers la culture non-mormone. Même si Dean leur présente Loretta comme la nièce de Ruth, il ne trompe personne. "Ils ont l'air complètement terrifiés". 

Jason est fan de Led Zeppelin, du Seigneur des Anneaux et vénère Evel Knievel, célèbre motard cascadeur (qui a réellement existé). Le jeune homme se lasse de ce mode de vie strict et rêve lui aussi d'une vie meilleure, ailleurs. 

"Ces derniers temps, à chaque amen, Jason ressent un point vide - les questions, les doutes et l'ennui qui l'assaillent depuis des mois le détachent de l'Eglise. Trois heures d'office le dimanche, soirée familiale le lundi, groupe de jeunesse le mercredi, cinq millions de prières par jour. (...) il voulait être différent, et il voulait que les autres sachent qu'il était différent et lorsqu'il avait fini par le reconnaître il était déjà différent." (page 67)

Lorsque Loretta rencontre Jason, elle reprend espoir. Pour elle, Jason est sa porte de sortie vers un avenir qu'elle voit à travers les magazines féminins. Pour le jeune homme, "Loretta doit être sauvée, de Dean et tout ce bazar, et il a le sentiment que cette mission lui incombe." Il ne faut pas oublier Boyd, ami de Jason et Indien, qui fera lui aussi partie du voyage. Un événement va précipiter les protagonistes à fuir cette communauté dans laquelle ils ne trouvent pas leur place. S'en suit un road-trip mémorable vers la liberté, mais aussi vers les désillusions de la vie telle qu'elle est réellement...

Shawn Vestal, à travers quelques monologues fictifs d'Evel Knievel, nous donne une critique acerbe des Etats-Unis à propos du rêve américain, de l'argent, du pouvoir et du monde du spectacle.

L'auteur nous transmet également de précieuses informations sur la communauté des mormons, qu'elle soit fondamentaliste, polygame ou monogame. Il nous rappelle le raid de Short Creek du 26 juillet 1953, dans lequel les fédéraux ont arrêté massivement des Mormons polygames. Il nous permet aussi de nous donner une idée précise des différences qui apparaissent entre ces deux communautés :

"Dean appelle Ruth "Mère" d'une voix sévère, ils s'habillent comme des pionniers et un air de privation délibérée flotte autour d'eux. Ils ne disent pas grand-chose, laissant volontiers la parole à Dean, ne regardent pas la télé, ne vont ni au cinéma ni aux soirées dansantes et mangent des choses bizarres." (page 126)

Mais Loretta, qui a été plongée dans ce monde si fermé depuis l'enfance, saura-t-elle se libérer complètement des principes qu'elle a appris ? Dès le début du road-trip, le récit change de structure et prend la forme d'un roman choral. Ainsi, le lecteur a accès aux impressions, aux sentiments de chaque personnage face à cette échappée, à cette quête de la liberté. Loretta atteindra-t-elle son objectif ? Devra-t-elle compter sur Jason pour être libre ? En tout cas, ce personnage doté d'un grand caractère et d'une ténacité sans faille ne laissera aucun lecteur indifférent.

"Elle s'interroge sur les démons et les hommes, se demande pourquoi elle croit aux démons, à des êtres au-delà du monde des hommes. Elle ne comprend pas pourquoi elle croit à leur existence, alors qu'elle a laissé derrière elle l'essentiel de son ancienne vie." (page 256) 

En bref, Goodbye, Loretta est un très bon premier roman qui nous apprend énormément sur la communauté des Mormons, qu'elle soit fondamentaliste, monogame ou polygame, au sein de l'Amérique profonde des années 70. Ce roman est riche, avec un personnage féminin doté d'un fort caractère, une légende américaine égratignant son propre pays, des personnages épris de liberté et d'autres enfermés dans un milieu totalitaire et austère. Peut-on réellement s'extirper d'un milieu qui nous écœure et dans lequel nous avons grandi ? Comment être libre ? Comment tourner le dos à son passé et avancer vers un avenir inconnu ? En tous cas, je suis certaine que Loretta et Jason resteront dans votre mémoire pendant un petit moment.


Un grand merci aux éditions Albin Michel !

Goodbye, Loretta (Daredevils), Shawn Vestal, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Olivier Colette, Albin Michel, collection "Terres d'Amérique", 03 avril 2018, 352 pages, 23 €, format Kindle : 15,99 €.

Lire les premières lignes de Goodbye, Loretta ? C'est par ici !

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A bientôt ^^








4 commentaires:

  1. Je ne connaissais pas mais le résumé et ton avis me tentent bien ! ça semble être une histoire assez originale ^^

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    1. Oui en effet, l'histoire sur la culture mormone et la quête de liberté est très intéressante :)

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  2. Mon avis est un peu plus en demie-teinte que le tien, parce que je crois que j'attendais un récit vraiment axé sur les road trip. Mais j'ai beaucoup aimé et les connaissances partager par l'auteur, et surtout l'ambiance de ce coin perdu des États-Unis dans les années 70.

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    1. C'est vrai que la 4e nous parle beaucoup du road-trip, alors en fait il ne concerne une petite partie du livre. Comme toi, j'ai beaucoup aimé l'ambiance de ce coin perdu des Etats-Unis, c'est un thème que j'aime bien retrouver dans mes lectures. :)

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