vendredi 4 mai 2018

"Toutes blessent la dernière tue" de Karine Giebel

L'esclavage moderne, une réalité

"On t'appelle Tama. Ton vrai prénom, tu n'as pas le droit de le prononcer. Pourtant, chaque soir, avant de t'endormir, tu le murmures plusieurs fois. Pour ne pas l'oublier."



Présentation de l'éditeur


Maman disait de moi que j'étais un ange.
Un ange tombé du ciel.
Mais les anges qui tombent ne se relèvent jamais...
Je connais l'enfer dans ses moindres recoins.
Je pourrais le dessiner les yeux fermés.
Je pourrais en parler pendant des heures.
Si seulement j'avais quelqu'un à qui parler...


Tama est une esclave. Elle n'a quasiment connu que la servitude. Prisonnière de bourreaux qui ignorent la pitié, elle sait pourtant rêver, aimer, espérer. Une rencontre va peut-être changer son destin...

Frapper, toujours plus fort.
Les détruire, les uns après les autres.
Les tuer tous, jusqu'au dernier.


Gabriel est un homme qui vit à l'écart du monde, avec pour seule compagnie ses démons et ses profondes meurtrissures.
Un homme dangereux.
Un matin, il découvre une inconnue qui a trouvé refuge chez lui. Une jeune femme blessée et amnésique.
Qui est-elle ? D'où vient-elle ?

Rappelle-toi qui tu es. Rappelle-toi, vite !
Parce que bientôt, tu seras morte.


Mon Avis

L'année dernière, j'ai lu le premier roman de Karine Giebel que Belfond avait réédité, Terminus Elicius. J'avais plutôt bien aimé ce thriller dans l'ensemble malgré quelques défauts (style inégal, manque de développement notamment). J'avais en revanche adoré la nouvelle inédite incluse dans le livre, Aurore, qui avait un style beaucoup plus percutant. Globalement, j'avais passé un bon moment de lecture. 
Fin mars de cette année est sorti le nouveau roman de Karine Giebel, Toutes blessent la dernière tue. Il rencontre actuellement un immense succès. La grande majorité des lecteurs et blogueurs l'ont adoré. Lorsque Babelio m'a proposé de participer à la sélection de la masse critique privilégiée pour ce livre, je n'ai pas hésité une seconde. J'avais hâte de le découvrir. 
Alors, d'après vous, est-ce que je fais partie de ceux qui l'ont adoré ou de la toute petite minorité qui partage un avis mitigé ?
Pour moi, Toutes blessent la dernière tue a été une lecture en demi-teinte. Cependant, je vais commencer par aborder les éléments que j'ai appréciés dans ce thriller, car oui, il y en a eu évidemment. 


"Dans l'après-midi, mon père m'a appris que Mejda lui avait proposé de s'occuper de moi et de m'emmener en France, où j'aurais un meilleur avenir, de meilleures chances. Il était d'accord. Il ne m'a pas demandé mon avis, bien sûr. Je n'aurais pas compris qu'il le fasse, de toute façon." (page 21)

Le livre compte plus de 700 pages, mais le style de Karine Giebel est tellement addictif qu'on ne les voit pas passer. Nous suivons Tama, une petite fille marocaine de 8 ans, séparée de son père et de sa tante et emmenée en France dans une famille aisée. Elle sert cette famille, s'occupe des tâches ménagères, des enfants. Elle dort dans la loggia, sur le sol, à côté de la machine à laver. Tout ce qu'elle possède tient dans un tout petit carton : une vieille poupée défigurée et quatre vêtements troués. D'année en année, on voit son évolution, on découvre ses espoirs, son chagrin et son désir de mettre un terme à sa vie. Karine Giebel a eu la brillante idée de nous rappeler, à travers le personnage de Tama, que l'esclavage moderne existe encore au XXIe siècle. Pendant des années, Tama est torturée, frappée, insultée. La violence est bel et bien présente, elle nous rend mal à l'aise. Mais cette violence nous ouvre les yeux sur cette réalité. J'ai adoré le personnage de Tama, un personnage fort et terriblement attachant. 

L'auteure nous offre une très belle réflexion sur les livres, et sur l'accès au savoir en général. Tama, bien évidemment, ne va pas à l'école. Elle a une telle envie d'apprendre et de prouver qu'elle n'est pas idiote, qu'elle n'hésite pas à dérober un stylo, des feuilles, des livres, pour apprendre et pour se sentir "vivante".


"A chaque livre, j'ai l'impression qu'une porte s'ouvre quelque part dans ma tête. Les verrous cèdent, les uns après les autres. Un livre, c'est comme un voyage, dans l'espace ou le temps. Dans l'âme des hommes, dans la lumière ou les ténèbres. (...) Je crois que si j'étais privée de livres, ça me tuerait." (page 78)

Parallèlement à l'histoire de Tama, nous suivons Gabriel, un homme dangereux, mystérieux, au lourd passé, qui vit reclus en pleine campagne. Il semble dépourvu de sentiments et blessé par la vie et ses souvenirs. Cette alternance de points de vue rend le récit dynamique et la lecture addictive. Karine Giebel maîtrise à la perfection le suspense et elle nous embarque dans une histoire tout à fait surprenante, brutale et sombre.

Mais parlons maintenant des éléments qui ne m'ont pas séduite. Ils se situent à la seconde moitié du roman. L'auteure a choisi d'inclure un autre thème à son intrigue, récurrent dans ses romans : celui de la vengeance, notamment. Il y avait, à mon sens, une surenchère de la violence. Je lis beaucoup de thrillers et de romans noirs dans lesquels la violence y est habituelle. Dans Toutes blessent la dernière tue, j'ai trouvé que certains passages violents étaient de trop. Cette violence déployée (pas celle liée à l'esclavage moderne qu'il faut bien évidemment montrer) dans cette seconde partie n'était pas, selon moi, utile. Et cette surenchère décrédibilise l'histoire et les personnages. Tama est-elle vraiment capable d'endurer toute cette avalanche de brutalité sans succomber à ses blessures ? De plus, j'ai eu un peu de mal avec le style de l'auteure, même si elle est capable d'éveiller en nous une profonde empathie pour Tama. Pour ce qui est de Gabriel, je n'ai pas du tout été captivée par ce personnage.


"Certes, lire ne m'a pas empêchée de rester une esclave des années durant,
mais chaque jour, ça m'aide à me sentir plus forte.
Chaque jour, ça m'aide à briser mes chaînes, maillon après maillon." (page 362)

Néanmoins, Toutes blessent la dernière tue reste pour moi une bonne lecture. Je ne peux que saluer l'initiative et le talent de Karine Giebel qui réveille nos consciences face à la servitude moderne qui existe encore aujourd'hui. L'auteure, via son roman, est la voix de toutes celles et de tous ceux qui vivent cachés et qui souffrent terriblement. Par ailleurs, dans ses remerciements, l'auteure parle de l'OICEM (Organisation internationale contre l'esclavage moderne) de Marseille qui l'a aidée dans ses recherches.

En bref, Toutes blessent la dernière tue est un thriller addictif, au rythme haletant, qui ravira incontestablement les fans de Karine Giebel. Elle s'empare avec brio d'un thème d'actualité dont on ne parle que très peu aujourd'hui : la servitude moderne, de nos jours, en France, dans les familles aisées, mais également dans les "pavillons de banlieue et les cités défavorisées". Tama est un personnage fort, attachant et mémorable. Même si je n'ai apprécié ni le style ni la surenchère de violence dans la seconde moitié du roman, ce thriller vaut la peine d'être lu pour ses messages "engagés", ancrés dans l'actualité.



Un grand merci à Babelio et aux éditions Belfond !



Toutes blessent la dernière tue, Karine Giebel, Belfond, mars 2018, 744 pages, 21,90 €, format Kindle : 14,99 €.


Bonus : la vidéo de La Place des éditeurs 



A bientôt ^^









2 commentaires:

  1. Je suis tout à fait d'accord ! J'ai eu beaucoup de mal avec cette surenchère de violence... Pourtant j'ai quasiment tout lu de Karine Giebel mais là, je suis mitigée...

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    1. Ton avis me rassure, je me sentais un peu seule :) C'est dommage car sans cette surenchère, je pense que ce roman aurait été un coup de cœur pour moi.

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