dimanche 30 septembre 2018

Premières lignes #47 : "Le Ruban rouge" de Lucy Adlington

Ce rendez-vous hebdomadaire a été créé par Ma Lecturothèque.

Le principe est simple : il s’agit de présenter chaque semaine l’incipit d’un roman.

Ce rendez-vous est très intéressant car il nous permet de découvrir en quelques lignes un style, un langage, un univers, une atmosphère.

On choisit le livre que l'on veut : un coup de cœur, une lecture actuelle, un livre de sa PAL, un emprunt à la bibliothèque...




Aujourd'hui, je vous propose de lire avec moi les premières lignes d'une nouveauté de la maison d'édition PKJ, qu'on ne présente plus : Le Ruban rouge d'une autrice anglaise et historienne de la mode et du costume, Lucy Adlington. Pourquoi ce livre ? Parce que c'est un roman historique qui aborde le sujet difficile de l'Holocauste, et parce que c'est aussi un livre pour jeunes adultes. Je suis curieuse de voir comment ce thème est traité dans un format jeunesse. Puis, c'est un titre PKJ, donc... je ne pense pas être déçue. Ce sera sans doute ma prochaine lecture. 



Nous quatre : Lily, Marta, Carla et moi. 
Dans une autre vie, nous aurions pu être amies. Mais nous sommes à Birchwood.
Ella, quatorze ans, est couturière. Pour son premier jour de travail, elle plonge dans ce monde de rubans, d'étoffes et de soie qu'elle aime tant. Mais son atelier n'est pas ordinaire, et ses clients le sont encore moins. Ella est prisonnière du camp de Birchwood, où elle confectionne les vêtements des officiers. Dans ce terrible quotidien où tout n'est qu'affaire de survie, la couture lui redonnera-t-elle espoir ?



VERT




       Nous quatre : Lily, Ella, Marta et Carla.
       Dans une autre vie, nous pourrions être amies.
       Mais nous sommes à Birchwood.

       Impossible de courir avec ces fichus sabots. On enfonce dans la boue épaisse et collante. La femme qui me suit a les mêmes difficultés, une de ses chaussures reste coincée dans cette mélasse. Tant mieux. Je veux arriver la première.
       Quel baraquement est-ce ? Pas le temps de demander mon chemin. Les autres se précipitent aussi, tel un troupeau furieux en pleine course. Celui-ci ? Non. Celui-là. Je m'arrête net, épuisée. Derrière moi, la femme manque de me percuter. Toutes les deux, nous observons le bâtiment. C'est certainement le bon. Doit-on frapper ?
       "S'il vous plaît, faites que je n'arrive pas trop tard."
       Je me hisse sur la pointe des pieds pour regarder par la persienne, en haut de la porte. Je ne vois pas grand-chose d'autre que mon propre reflet. Je me pince les joues pour me donner un peu de couleurs, en regrettant de n'être pas assez grande pour avoir un bâton de rouge à lèvres. Heureusement, mon œil n'est plus gonflé, même s'il reste un cerne verdâtre tout autour. Je vois, c'est le principal. Si j'avais des cheveux longs et bouclés, je pourrais camoufler les traces ; on fait avec ce qu'on a.
       - C'est trop tard ? souffle l'autre, hors d'haleine. J'ai perdu une de mes chaussures dans la boue. 
       A peine ai-je frappé à la porte qu'elle s'ouvre, ce qui nous fait bondir.
       - Vous êtes en retard, gronde la jeune femme debout sur le seuil.
       Elle nous juge d'un air dur. Je me souviens. Trois semaines loin de chez moi, et je ne parviens toujours pas à m'aplatir devant ces gens, peu importent les coups qui pleuvent. Cette fille autoritaire - guère plus âgée que moi - est sèche, anguleuse. Son nez est si tranchant que je pourrais m'en servir pour couper du fromage. J'ai toujours aimé le fromage - le grumeleux qu'on met dans la salade, le crémeux qu'on tartine sur du pain frais ou celui, vraiment fort et avec des morceaux verts, que les vieux messieurs mangent sur des crackers...
       - Ne restez pas plantées là ! lance Lame-de-rasoir en nous fusillant du regard. Entrez ! Essuyez vos pieds ! Ne touchez à rien !
       Nous entrons. J'ai réussi. Me voici à la grandiose "Maison de haute couture", autrement dit, un simple atelier de confection. Mon rêve. Dès que j'ai entendu parler de ce travail, j'ai su que c'était pour moi. Il me le fallait à tout prix.
       Dans la pièce, une vingtaine de têtes sont penchées sur des machines qui ronronnent, semblables à des personnages de contes de fées auxquels on aurait jeté un sortilège. Je remarque immédiatement que ces couturières sont d'une propreté irréprochable. Elles portent une longue blouse marron, bien plus jolie que l'espèce de sac qui me tient lieu de vêtement et glisse sans cesse de mon épaule. Les tables en bois blanc, poncées et polies, sont couvertes de patrons et de bobines de fil. Des étagères remplies de tissus sont alignées d'un côté, les couleurs sont si inattendues que j'en suis presque éblouie. De l'autre côté se dresse une forêt de mannequins de couturière sans tête ni membres. J'entends le cliquetis d'un lourd fer à repasser. Je vois des particules de poussière laineuse flotter dans l'air, tels des insectes paresseux.
       Personne n'a levé la tête. Elles cousent toutes comme si leur vie en dépendait.
       - Ciseaux !
       Le cri a retenti tout près. L'ouvrière qui vient de parler ne s'est même pas interrompue. Elle continue d'actionner la pédale et de pousser le tissu sous l'aiguille de sa machine tandis qu'elle attrape les ciseaux. Je les ai vus passer de table en table, d'une main à l'autre, puis - zip - entamer le long pan de tweed vert sapin.
       La fille maigre qui nous a ouvert la porte claque des doigts devant mon visage.
       - Moi, c'est Marta. Je suis la responsable. Ici, c'est moi la Chef. Compris ?



Le Ruban rouge (The Red Ribbon), Lucy Adlington, traduit de l'anglais par Catherine Nabokov, PKJ, septembre 2018, 336 pages, 16,90 €, format Kindle : 11,99 €.


Bon dimanche :)



2 commentaires:

  1. Ce livre pourrait éventuellement me plaire :)

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  2. J'ai hésité à l'acheter la dernière fois, et j'ai opté pour Orphelins 88, à la même époque, sensiblement.
    Rien qu'à la manière dont c'est écrit, ça me plait beaucoup, j'irai certainement l'acheter :)

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