lundi 20 août 2018

"Tenir jusqu'à l'aube" de Carole Fives

Mal de mère 

"Tout doux, la clé dans la serrure.
Tout doux mon bébé dans ses draps propres.
Tout doux."



Rentrée littéraire 2018

Présentation de l'éditeur

« Et l’enfant ?
Il dort, il dort.
Que peut-il faire d’autre ? »
Une jeune mère célibataire s’occupe de son fils de deux ans. Du matin au soir, sans crèche, sans
famille à proximité, sans budget pour une baby-sitter, ils vivent une relation fusionnelle. Pour
échapper à l’étouffement, la mère s’autorise à fuguer certaines nuits. A quelques mètres de
l’appartement d’abord, puis toujours un peu plus loin, toujours un peu plus tard, à la poursuite d’un
semblant de légèreté.
Comme la chèvre de Monsieur Seguin, elle tire sur la corde, mais pour combien de temps encore ?


Mon Avis


Cette histoire est simple, banale, mais si récurrente. Dans son quatrième roman, Carole Fives s'intéresse à une jeune mère solo (dont on ne connaîtra pas le nom) qui élève son fils de deux ans. L'écrasante routine et ses problèmes financiers la minent. En effet, graphiste freelance (statut qu'elle n'a pas choisi), elle ne recueille que quelques contrats par-ci par-là et a du mal à joindre les deux bouts. Inscrite sur la liste d'attente pour la crèche, et ne connaissant personne pour garder son garçon, elle n'a pas le choix : elle doit s'occuper de lui à chaque instant, gérer ses caprices, rester auprès de lui le soir jusqu'à ce qu'il s'endorme enfin, puis ranger, nettoyer jusqu'à tard le soir, et enfin tenter de travailler sur son ordinateur. On perçoit nettement la solitude et la fatigue de cette mère, qui fait tout ce qu'elle peut... dans une société individualiste qui semble avoir un malin plaisir à lui mettre des bâtons dans les roues.

Tout d'abord, le pédiatre. Celui qui la laisse dans la salle d'attente jusqu'à une heure tardive, celui qui examine à peine son fils, et qui lui réclame une somme mirobolante pour une consultation de deux minutes. Il y a aussi le service Petite enfance de sa mairie qui ne comprend pas la gravité et le caractère précaire de sa situation. Puis, il y a l'huissier dépourvu d'humanité qui ne prend même pas la peine de lui parler... L'ignorance, le mépris, l'indifférence, la solitude, la honte pèsent sur les épaules de cette maman célibataire. 


"A chaque démarche, il fallait se justifier, détailler sa situation. Des femmes derrière un bureau ou au téléphone questionnaient, perçaient leur intimité. Elle donnait le change, répondait, essayait de formuler le chaos. Quand on avait enfin fait le tour du problème, de leur vie, on lui procurait d'autres numéros, d'autres adresses où se rendre, à l'autre bout de la ville, en tramway, flanquée du petit, et où recommencer depuis le début les mêmes interrogatoires, les mêmes histoires." (page 37)

Comme elle n'a pas d'ami ni de famille à qui se confier, elle se réfugie sur le web, plus précisément sur les forums de discussion entre mères solo. Mais elle ne trouve pas le soutien ni la solidarité qu'elle recherchait. Lorsqu'elle tape sur le moteur de recherche "laisser bébé seul + sortir", elle tombe sur un message d'une mère solo désespérée. Les réponses de la part d'autres femmes ne sont que discours moralisateurs, haine et mépris envers cette maman qui ne demande que de l'écoute, du réconfort et des conseils. Et lorsque notre héroïne tente de faire connaissance avec sa voisine mère de famille elle aussi, elle se trouve face à une porte blindée. 


"C'est pas moi qui ai besoin d'un psy, c'est la société qui est mal foutue, et quand je vous lis, 
je comprends pourquoi." (page 78)

Entre la fatigue, le retard qu'elle prend dans son travail faute de solution de garde, la solitude, les problèmes d'argent, cette jeune mère ne voit alors qu'une issue immédiate : fuir. S'échapper le temps de quelques heures, être une femme libre, délaisser son statut de "bonne mère". Cette parenthèse, bien que dangereuse, est une échappatoire pour cette jeune femme, avide de vivre enfin.


"Elle tenait la journée, elle tenait pour le petit. Mais quand la nuit s'annonçait, elle avait hâte de le voir endormi, de pouvoir enfin tout lâcher, les craintes, les colères retenues. (...) Elle était lasse, fatiguée de cette créature qu'elle avait créée de toutes pièces : la bonne mère. C'était sans doute dans ces moments-là que l'envie de fuir était la plus forte. Quand elle réalisait qu'elle ne supportait plus cet unique rôle où on la cantonnait désormais, dans un film dont elle avait manqué le début, et qu'elle traversait en figurante. C'était alors que les fugues s'imposaient, comme une respiration, un entêtement." (page 98-99)

Carole Fives a créé un lien intéressant entre l'histoire de cette mère et le conte d'Alphonse Daudet, La Chèvre de Monsieur Seguin. Comme la chèvre, la jeune femme tire sur la corde... Tiendra-t-elle jusqu'à l'aube sans se faire dévorer par le loup ?

Enfin, Carole Fives possède en effet une écriture vive, percutante. Elle montre d'une manière féroce la puissance écrasante de la société individualiste et moralisatrice d'aujourd'hui. 

En bref, la rentrée littéraire démarre sur les chapeaux de roues, avec la parution de Tenir jusqu'à l'aube : un roman poignant, percutant, féministe sur la vie d'une jeune mère qui fait de son mieux dans cette société fermée, individualiste et moralisatrice. Il nous ouvre également les yeux sur la situation précaire des mères solos, sur nos pensées parfois dures, dictées par une société mauvaise et bien-pensante. Un roman brillant sur une femme avide de liberté et de reconnaissance.

Un grand merci aux éditions Gallimard pour cette découverte !


Tenir jusqu'à l'aube, Carole Fives, collection "L'Arbalète", Gallimard, 16 août 2018, 192 pages, 17 €, format Kindle : 11,99 €.

Bonus : vidéo de la librairie Mollat 




Lire les premières lignes de Tenir jusqu'à l'aube ? C'est par ici !


Un événement organisé par Pikobooks !


A bientôt ^^






2 commentaires:

  1. Je ne connaissais pas mais j'ai très envie de le lire maintenant !

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  2. Excellent ! merci beaucoup pour cette chronique qui me fait decouvrir et l'autrice et le roman. Je suis parfaitement intriguee !

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