dimanche 30 septembre 2018

Premières lignes #47 : "Le Ruban rouge" de Lucy Adlington

Ce rendez-vous hebdomadaire a été créé par Ma Lecturothèque.

Le principe est simple : il s’agit de présenter chaque semaine l’incipit d’un roman.

Ce rendez-vous est très intéressant car il nous permet de découvrir en quelques lignes un style, un langage, un univers, une atmosphère.

On choisit le livre que l'on veut : un coup de cœur, une lecture actuelle, un livre de sa PAL, un emprunt à la bibliothèque...




Aujourd'hui, je vous propose de lire avec moi les premières lignes d'une nouveauté de la maison d'édition PKJ, qu'on ne présente plus : Le Ruban rouge d'une autrice anglaise et historienne de la mode et du costume, Lucy Adlington. Pourquoi ce livre ? Parce que c'est un roman historique qui aborde le sujet difficile de l'Holocauste, et parce que c'est aussi un livre pour jeunes adultes. Je suis curieuse de voir comment ce thème est traité dans un format jeunesse. Puis, c'est un titre PKJ, donc... je ne pense pas être déçue. Ce sera sans doute ma prochaine lecture. 



Nous quatre : Lily, Marta, Carla et moi. 
Dans une autre vie, nous aurions pu être amies. Mais nous sommes à Birchwood.
Ella, quatorze ans, est couturière. Pour son premier jour de travail, elle plonge dans ce monde de rubans, d'étoffes et de soie qu'elle aime tant. Mais son atelier n'est pas ordinaire, et ses clients le sont encore moins. Ella est prisonnière du camp de Birchwood, où elle confectionne les vêtements des officiers. Dans ce terrible quotidien où tout n'est qu'affaire de survie, la couture lui redonnera-t-elle espoir ?



VERT




       Nous quatre : Lily, Ella, Marta et Carla.
       Dans une autre vie, nous pourrions être amies.
       Mais nous sommes à Birchwood.

       Impossible de courir avec ces fichus sabots. On enfonce dans la boue épaisse et collante. La femme qui me suit a les mêmes difficultés, une de ses chaussures reste coincée dans cette mélasse. Tant mieux. Je veux arriver la première.
       Quel baraquement est-ce ? Pas le temps de demander mon chemin. Les autres se précipitent aussi, tel un troupeau furieux en pleine course. Celui-ci ? Non. Celui-là. Je m'arrête net, épuisée. Derrière moi, la femme manque de me percuter. Toutes les deux, nous observons le bâtiment. C'est certainement le bon. Doit-on frapper ?
       "S'il vous plaît, faites que je n'arrive pas trop tard."
       Je me hisse sur la pointe des pieds pour regarder par la persienne, en haut de la porte. Je ne vois pas grand-chose d'autre que mon propre reflet. Je me pince les joues pour me donner un peu de couleurs, en regrettant de n'être pas assez grande pour avoir un bâton de rouge à lèvres. Heureusement, mon œil n'est plus gonflé, même s'il reste un cerne verdâtre tout autour. Je vois, c'est le principal. Si j'avais des cheveux longs et bouclés, je pourrais camoufler les traces ; on fait avec ce qu'on a.
       - C'est trop tard ? souffle l'autre, hors d'haleine. J'ai perdu une de mes chaussures dans la boue. 
       A peine ai-je frappé à la porte qu'elle s'ouvre, ce qui nous fait bondir.
       - Vous êtes en retard, gronde la jeune femme debout sur le seuil.
       Elle nous juge d'un air dur. Je me souviens. Trois semaines loin de chez moi, et je ne parviens toujours pas à m'aplatir devant ces gens, peu importent les coups qui pleuvent. Cette fille autoritaire - guère plus âgée que moi - est sèche, anguleuse. Son nez est si tranchant que je pourrais m'en servir pour couper du fromage. J'ai toujours aimé le fromage - le grumeleux qu'on met dans la salade, le crémeux qu'on tartine sur du pain frais ou celui, vraiment fort et avec des morceaux verts, que les vieux messieurs mangent sur des crackers...
       - Ne restez pas plantées là ! lance Lame-de-rasoir en nous fusillant du regard. Entrez ! Essuyez vos pieds ! Ne touchez à rien !
       Nous entrons. J'ai réussi. Me voici à la grandiose "Maison de haute couture", autrement dit, un simple atelier de confection. Mon rêve. Dès que j'ai entendu parler de ce travail, j'ai su que c'était pour moi. Il me le fallait à tout prix.
       Dans la pièce, une vingtaine de têtes sont penchées sur des machines qui ronronnent, semblables à des personnages de contes de fées auxquels on aurait jeté un sortilège. Je remarque immédiatement que ces couturières sont d'une propreté irréprochable. Elles portent une longue blouse marron, bien plus jolie que l'espèce de sac qui me tient lieu de vêtement et glisse sans cesse de mon épaule. Les tables en bois blanc, poncées et polies, sont couvertes de patrons et de bobines de fil. Des étagères remplies de tissus sont alignées d'un côté, les couleurs sont si inattendues que j'en suis presque éblouie. De l'autre côté se dresse une forêt de mannequins de couturière sans tête ni membres. J'entends le cliquetis d'un lourd fer à repasser. Je vois des particules de poussière laineuse flotter dans l'air, tels des insectes paresseux.
       Personne n'a levé la tête. Elles cousent toutes comme si leur vie en dépendait.
       - Ciseaux !
       Le cri a retenti tout près. L'ouvrière qui vient de parler ne s'est même pas interrompue. Elle continue d'actionner la pédale et de pousser le tissu sous l'aiguille de sa machine tandis qu'elle attrape les ciseaux. Je les ai vus passer de table en table, d'une main à l'autre, puis - zip - entamer le long pan de tweed vert sapin.
       La fille maigre qui nous a ouvert la porte claque des doigts devant mon visage.
       - Moi, c'est Marta. Je suis la responsable. Ici, c'est moi la Chef. Compris ?



Le Ruban rouge (The Red Ribbon), Lucy Adlington, traduit de l'anglais par Catherine Nabokov, PKJ, septembre 2018, 336 pages, 16,90 €, format Kindle : 11,99 €.


Bon dimanche :)



vendredi 28 septembre 2018

"Le Poids du monde" de David Joy

Deux amis, deux êtres désespérés

"Tout le poids de ce monde semblait l'accabler à cet instant, tandis qu'il se tenait là, regardant dans le vide, se demandant combien de temps il pourrait tenir avant de ployer sous la pression."





Présentation de l'éditeur

Après avoir quitté l'armée et l'horreur des champs de bataille du Moyen-Orient, Thad Broom revient dans son village natal des Appalaches. N'ayant nulle part où aller, il s'installe dans sa vieille caravane près de la maison de sa mère, April, qui lutte elle aussi contre de vieux démons. Là, il renoue avec son meilleur ami, Aiden McCall. Après la mort accidentelle de leur dealer, Thad et Aiden se retrouvent soudain avec une quantité de drogue et d'argent inespérée. Cadeau de Dieu ou du diable ? 
Après Là où les lumières se perdent (Sonatine Éditions, 2016), unanimement salué par la critique, David Joy nous livre un nouveau portrait saisissant et désenchanté de la région des Appalaches, d'un réalisme glaçant. Un pays bien loin du rêve américain, où il est devenu presque impossible d'échapper à son passé ou à son destin. Plus encore qu'un magnifique "rural noir", c'est une véritable tragédie moderne, signée par l'un des plus grands écrivains de sa génération. 


Mon Avis

Alors que dans Là où les lumières se perdent David Joy nous avait offert un final effroyable, violent et mémorable, ici, ils nous sert un prologue sanglant dès la toute première page. Aiden n'est qu'un enfant lorsque son père assassine sa mère sous ses yeux avant de se donner la mort. Il est persuadé que tôt ou tard il deviendra comme son père, cet homme violent qui battait sa mère. Cette pensée sonne comme une malédiction. Après s'être échappé de l'orphelinat qui l'avait recueilli, Aiden trouve refuge chez Thad, son meilleur ami, qui vit dans un vieux mobile-home non loin de la maison de sa mère. Aiden et Thad, 12 ans tous les deux, deviennent inséparables, comme des frères. Le premier n'a plus de famille, et le deuxième est rejeté par sa mère et son beau-père. Livrés à eux-mêmes et malgré les difficultés, ils vivent leurs plus belles années.


"Il semblait avoir la certitude incontestable, presque divine, qu'avec le temps il deviendrait comme son père. Que certaines choses étaient transmises qui ne se reflétaient pas dans les miroirs, des traits qui étaient peints à l'intérieur. C'était ça qui le terrifiait. Et toutes les nuits, avant de se réveiller en frissonnant, il entendait les mots du Tout-Puissant, le Seigneur, qui disait : "Au bout du compte, c'est toujours le sang qui parle."" (page 13)

Mais à 25 ans, Aiden, alors qu'il attend Thad devant un hôpital militaire, dresse le bilan de leurs vies. Et ils sont à des millénaires de nager dans le bonheur. Pour Aiden, la malédiction s'acharne contre eux. Là où ils vivent, à Little Canada en Caroline du Nord, il n'y a pas de travail. Aiden travaillait dans le bâtiment à l'époque, mais la bulle immobilière a explosé et l'a enfoncé dans une misère pérenne. Ils vivent de petits larcins et se défoncent à longueur de journée. Avide de changement, Aiden veut déménager à Asheville, là où il y a du travail. Mais Thad refuse catégoriquement de quitter l'endroit où ils sont nés. "Parce qu'y aura jamais que deux endroits qu'auront un sens pour moi, et je peux pas retourner dans l'un d'eux." (page 27). Cet endroit, c'est l'Afghanistan, là où Thad a servi quatre ans. Il est revenu dans son pays natal handicapé et traumatisé par un drame qu'il tait à son ami. D'ailleurs, aucun d'entre eux ne parle de ce qui s'est passé là-bas. Thad enfouit tous ses sentiments et essaie de trouver les réponses à ses questions dans l'alcool et la drogue.


"Il se demandait si un jour Thad redeviendrait comme avant. Il pensait à l'espace qui les séparait, ces soixante centimètres dans la voiture qui étaient en réalité aussi vastes que l'univers. Thad et lui étaient différents. Et même s'il le voulait, il ne voyait pas comment revenir en arrière." (page 31)

Pourtant, cette envie d'ailleurs d'Aiden offre un espoir, et le lecteur a aussi envie d'y croire. Mais le fossé qui sépare nos deux personnages est de plus en plus grand, et l'espoir s'amenuise au fil des pages. Et cela ne va pas s'arranger lorsque le dealer de nos deux amis se tire une balle dans la tête par accident... laissant derrière lui une multitude d'armes et de meth. L'occasion de se faire un paquet d'argent est trop belle pour Aiden et Thad. L'occasion de s'offrir une nouvelle vie, ailleurs...


"Au bout du compte, la seule chose qui différenciait une personne d'une autre, c'était le fait d'avoir quelqu'un pour sauter à l'eau et vous empêcher de vous noyer." (page 254)

Même si la poésie et le clair-obscur remarquables de Là où les lumières se perdent semblent moins présents ici, la noirceur, le pessimisme, le désespoir sont bel et bien restés intacts. Cependant, on peut noter dans ce deuxième roman de David Joy (qui porte mal son nom :) ) les critiques acerbes contre la société américaine. Personne ne vient en aide à ces jeunes laissés-pour-compte, personne ne semble les écouter, et, enfermés dans une spirale de drogues en tout genre, ils sont considérés comme des déchets et livrés à eux-mêmes. Et qu'en est-il aussi de ces anciens soldats traumatisés et abîmés par la guerre ? "Ça en dit long quand un pays préfère verser une allocation d'handicapé à quelqu'un plutôt que de le soigner pour qu'il puisse trouver du boulot." David Joy dénonce également l'immobilité subie ou choisie de ses personnages. Cette immobilité semble les clouer sur place et les empêche d'avancer, d'évoluer, d'obtenir une seconde chance. Cette immobilité pèse sur leurs épaules.

En bref, avec Le Poids du monde, David Joy signe une fois de plus un bijou de roman noir. L'espoir est infime. "Aiden et Thad vont bien finir par s'en sortir", enfin, c'est ce que l'on pense lorsque nous suivons leurs péripéties. En effet, malgré tout, entre ces deux amis, il y a une grande fraternité, des souvenirs drôles et heureux. Cependant, leurs échecs et leur amertume mettront à mal ce mince espoir. Puis, il ne faut pas oublier ce personnage féminin, April, la mère de Thad, qui a tant à raconter. Son histoire est tout aussi touchante que celle d'Aiden et de son fils. Et enfin, ce décor magnifique des Appalaches nous accompagne encore dans ce deuxième roman et donne un cadre poétique fascinant. 
Irrémédiablement, David Joy s'inscrit dans la lignée des grands écrivains américains d'aujourd'hui.  

Un grand merci aux éditions Sonatine ainsi qu'à Léa Touch Book !


Le Poids du monde (The Weight of this World), David Joy, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Fabrice Pointeau, Sonatine, 30 août 2018, 320 pages, 21 €, format Kindle : 14,99€.


Bonus 1 : vidéo de l'interview de David Joy par Don Noble (en VO)




Bonus 2 : un extrait sur le site Lisez !  (découvrez le prologue, il vaut le détour...)


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Organisé par Pikobooks 


A bientôt ^^


jeudi 27 septembre 2018

Throwback Thursday livresque #72 : pavés livresques ou séries longues

Le Throwback Thursday livresque est un nouveau rendez-vous inspiré du "Throwback Thursday" d'Instagram, et créé par le blog BettieRose Books.
Le principe est simple : on partage chaque jeudi une lecture qui correspond à un thème donné.
Le récapitulatif des liens se trouve sur le blog BettieRose Books.

Le thème d'aujourd'hui est :


Pavés livresques ou séries longues



Je n'ai pas choisi une série longue (avec les mangas pourtant on a l'embarras du choix ^^), mais des gros pavés, et quels gros pavés ! Les deux premiers tomes ornent fièrement ma bibliothèque, ils sont tellement beaux... Et non seulement ils sont magnifiques, mais en plus ils nous offrent une expérience de lecture tout à fait fascinante et inédite. Le troisième et dernier volet de cette série de science-fiction sort le mois prochain... Vous avez bien deviné, il s'agit de...




Ce matin de 2575, lorsque Kady rompt avec Ezra, 
elle croit avoir vécu le pire moment de sa vie.
L'après-midi même, leur planète est attaquée par une entreprise interstellaire sans foi ni loi - BeiTech. Obligés de fuir, Kady embarque sur le vaisseau Hypatia, 
Ezra sur l'Alexander.
Très vite, Kady soupçonne les autorités de leur cacher la vérité. Avec l'aide d'Ezra - le seul en qui elle peut avoir confiance -, elle pirate le réseau informatique de leur flotte, accédant ainsi à des données confidentielles qui mettent en cause leur propre état-major.
Alors qu'ils sont toujours traqués par BeiTech, l'Intelligence Artificielle censée les protéger se met à agir d'une façon étrange...

La conclusion sur le premier tome : "Ie premier tome d'Illuminae est un ovni livresque. Nous lecteurs, découvrons l'histoire de Kady et d'Ezra à travers toute cette salve de documents divers et variés. Faciles à comprendre, ils nous incitent à imaginer, à réfléchir, et même à tourner le livre dans tous les sens pour vivre une belle expérience de lecture. Original, bien rythmé, haletant, addictif, ce pavé est à mettre entre les mains des lecteurs ados et adultes, fans de SF ou non. Il paraît que Gemina, le deuxième tome, est encore mieux que le premier... Dur dur d'attendre..."


Illuminae, tome 1 : dossier Alexander, Amie Kaufman et Jay Kristoff, traduit de l'anglais (Australie) par Corinne Daniellot, Casterman, septembre 2016, 607 pages, 19,90 €.

Illuminae, tome 2 : dossier Gemina, Amie Kaufman et Jay Kristoff, avec des illustrations de Marie Lu, traduit de l'anglais (Australie) par Corinne Daniellot, Casterman, juin 2017, 682 pages, 19,90 €.

Mes chroniques : Tome 1 - Tome 2


Je vous souhaite de belles lectures.

A bientôt ^^



lundi 24 septembre 2018

C'est Lundi, que lisez-vous ? #99

C'est l'heure du célèbre rendez-vous "C'est lundi, que lisez-vous ?", inspiré de It's Monday, What are you reading ?, repris par Galleane. Le récapitulatif des liens se fait sur son blog.


Chaque lundi, on répond à trois questions :
1. Qu'ai-je lu la semaine passée ?
2. Que suis-je en train de lire en ce moment ?
3. Que vais-je lire ensuite ?


Ces dernières semaines, j'ai lu :


J'ai lu et apprécié Le Poids du monde, le deuxième roman de David Joy publié en France (traduit par Fabrice Pointeau). Son premier, Là où les lumières se perdent, avait été un énorme coup de coeur, que j'avais qualifié de "bijou de roman noir". Ici, je n'ai pas retrouvé la poésie tout en clair-obscur du premier, mais il est tout aussi sombre. La critique envers le rêve américain est plus forte, plus présente encore néanmoins. Même si le coup de coeur n'est pas renouvelé dans celui-ci, David Joy reste tout de même un écrivain incontournable de la littérature américaine d'aujourd'hui.
J'ai lu également l'étrange Une douce lueur de malveillance de Dan Chaon (traduit par Hélène Fournier). Pour être original et déroutant à la fois, pas de doute, il l'est. Des chapitres courts, des espaces blancs à la présence déconcertante, des tableaux... Une plongée entre rêve et réalité qui ne laissera personne indifférent. Pour plein de raisons, ce livre est un chef-d'oeuvre de la littérature américaine.
Enfin, j'ai découvert le premier roman de Kevin Hardcastle, Dans la cage (traduit par Janique Jouin). Il divise beaucoup les opinions des lecteurs. Pour moi, ce fut une déception. Le rythme est atrocement lent, les personnages ne sont à mon sens pas approfondis, les scènes d'action ne pimentent pas l'intrigue. C'est néanmoins un bon roman noir mais qui souffre des défauts propres aux premiers romans. Cependant, Kevin Hardcastle a du potentiel et je lirai volontiers son prochain livre.




En ce moment, je lis :


Attention, c'est le tome 2 de la série Eclosion.

Il y a d'abord eu la nuée noire qui a englouti un homme, les irrégularités sismiques qui ont intrigué les scientifiques en Inde, la bombe atomique que la Chine a, de façon incompréhensible, lancée sur son propre territoire. Puis le laboratoire de la zoologue Melanie Guyer a reçu un colis contenant un mystérieux sac d’œufs. Personne ne se doutait encore que, du jour au lendemain, la Terre serait consumée par des araignées tueuses en sommeil depuis des millénaires. Très vite, Los Angeles n'est plus qu'un champ de ruines. New Delhi, une rumeur. Quant à Paris... Ravalée au rang de simple maillon dans une chaîne alimentaire dominée par le plus puissant prédateur que la nature ait connu, l'humanité semble avoir rejoint le contingent des espèces en voie de disparition. Malgré l'ampleur des dégâts, politiques, scientifiques, survivalistes, bons pères de famille, tous tentent de s'organiser pour lutter contre la menace. Quand, soudain, contre toute attente, les araignées semblent se retirer et mourir. L'humanité serait-elle sauvée ? N'y aurait-il plus qu'à panser les plaies du plus grand fléau de l'histoire ? Dans ce deuxième volet de la trilogie horrifique entamée avec Eclosion, Ezekiel Boone dissèque aussi bien les âmes que les bestioles à huit pattes. Et file, en soie d'araignée, la métaphore de notre époque sauvage.

Merci aux éditions Actes Sud ! 
Infestation a été traduit par Jérôme Orsoni



Ma prochaine lecture :





Me voici de retour... mais rassurez-vous, je ne vous jouerai pas de mauvais tours...
Après une rentrée très chargée (qui s'est très bien passée pour les enfants :) ), je commence à reprendre tout doucement le blog et j'en suis très heureuse. 
J'ai des projets plein la tête... Dès que ce sera vraiment concret, je vous en parlerai en temps et en heure. 
Au programme cette semaine : plein de chroniques à publier, mes articles sur mes sélections des sorties grands formats et poches d'octobre, le retour des rendez-vous hebdomadaires... Bref, j'ai du pain sur la planche.

Je vous souhaite une excellente semaine pleine de belles lectures.

A bientôt ^^





dimanche 23 septembre 2018

Premières lignes #46 : "Le Roman de Jeanne" de Lidia Yuknavitch

Ce rendez-vous hebdomadaire a été créé par Ma Lecturothèque.

Le principe est simple : il s’agit de présenter chaque semaine l’incipit d’un roman.

Ce rendez-vous est très intéressant car il nous permet de découvrir en quelques lignes un style, un langage, un univers, une atmosphère.

On choisit le livre que l'on veut : un coup de cœur, une lecture actuelle, un livre de sa PAL, un emprunt à la bibliothèque...




Aujourd'hui, je vous présente les premières lignes d'un roman de la rentrée littéraire, Le Roman de Jeanne de Lidia Yuknavitch. Ce livre aux allures de monde post-apocalyptique me fait penser à La Servante écarlate de Margaret Atwood et au Pouvoir de Naomi Alderman, que j'avais adoré. J'espère avoir l'occasion de le lire bientôt ! Si vous l'avez lu, n'hésitez pas à me donner votre avis en commentaire ! Bonne lecture.


Anéantie par les excès de l'humanité et des guerres interminables, la Terre n'est plus que cendres et désolation. Seuls les plus riches survivent, forcés de s'adapter à des conditions apocalyptiques. Leurs corps se sont transformés, albinos, stériles, les survivants se voient désormais contraints de mourir le jour de leurs cinquante ans. Tous vivent dans la peur, sous le joug du sanguinaire Jean de Men. Christine Pizan a quarante-neuf ans. La date fatidique approche . Rebelle, artiste, elle adule le souvenir d'une héroïne, Jeanne, prétendument morte sur le bûcher. Jeanne serait la dernière à avoir osé s'opposer au tyran. En bravant les interdits et en racontant l'histoire de Jeanne, Christine parviendra-t-elle à faire sonner l'heure de la rébellion ?



LIVRE PREMIER


PROLOGUE



    Des centaines de milliers d'années avant que l'astéroïde Chicxulub ne vienne rayer les dinosaures de la surface du globe, une période d'éruptions a commencé dans le Deccan, une région du sous-continent indien. Les volcans s'y sont mis à vomir du soufre et du dioxyde de carbone, empoisonnant l'atmosphère et déstabilisant les écosystèmes.
      Les dinosaures - tout comme la plupart des autres créatures - étaient donc déjà à l'agonie quand l'astéroïde a percuté la planète.
     Les volcans ont bouleversé l'environnement. Noirci le ciel. Gravé la mort dans l'histoire du monde. Réécrit sa géographie. Pourtant, la Terre a pu renaître de ses cendres, et ce n'était pas par miracle, non : les organismes vivants étaient simplement trop tenaces. Ils ont refusé de baisser les bras.
       Oui, la vie a fini par resurgir, comme elle le fait toujours. Des profondeurs de l'océan, du lit des rivières, des biosphères secrètes enfouies dans l'épais tombeaux de glace, de tous ces mondes parallèles, cachés sur Terre, dont la diversité et l'étrangeté n'ont d'égales que celles de l'espace intersidéral.
      Bien plus tard, un nouveau géocataclysme de cette envergure a eu lieu... mais celui-là était tout sauf accidentel.



Le Roman de Jeanne (The Book of Joan), Lidia Yuknavitch, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Simon Kroeger, Denoël, 23 août 2018, 336 pages, 21 €, format Kindle : 14,99 €.

Bon dimanche !


jeudi 6 septembre 2018

"Comme un seul homme" de Daniel Magariel

Emprise paternelle

"Mon frère n'était toujours pas rentré à la maison. Je me faisais du souci pour lui. Je débordais d'une étrange espèce de tristesse. J'avais l'impression d'être rempli de vide."




Présentation de l'éditeur

Le combat fut âpre. Mais, ensemble, le narrateur, un garçon de douze ans, son frère aîné et leur père ont gagné la guerre – c’est ainsi que le père désigne la procédure de divorce et la lutte féroce pour la garde de ses fils. Ensemble, ils prennent la route, quittant le Kansas pour Albuquerque, et un nouveau départ. Unis, libres, conquérants, filant vers le Nouveau-Mexique, terre promise, ils dessinent les contours de leur vie à trois.
Les garçons vont à l’école, jouent dans l’équipe de basket, se font des amis, tandis que leur père vaque à ses affaires dans leur appartement de la banlieue d’Albuquerque.  Et fume, de plus en plus  – des cigares bon marché, pour couvrir d’autres odeurs. Bientôt, ce sont les nuits sans sommeil, les apparitions spectrales d’un père brumeux, les visites nocturnes de types louches. Les garçons observent la métamorphose de leur père, au comportement chaque jour plus erratique et violent. Livrés à eux-mêmes, ils n’ont d’autre choix que d’endosser de lourdes responsabilités   pour contrer la défection de leurs parents, et de faire front face à ce père autrefois adulé désormais méconnaissable, et terriblement dangereux.
Daniel Magariel livre un récit déchirant, éblouissant de justesse et de délicatesse sur deux frères unis dans la pire des adversités, brutalement arrachés à l’âge tendre. Deux frères qui doivent apprendre à survivre et à se construire auprès d’un père extraordinairement toxique, au milieu des décombres d’une famille brisée.


Mon Avis

L'image de la couverture a du sens. Deux silhouettes juvéniles surplombées par celle d'un homme imposant, ressemblant à un cow-boy avec son chapeau et sans doute une arme au niveau des hanches. Deux ombres fluettes, une silhouette écrasante ; deux fils et leur père. Nous ne saurons pas leurs noms. Cependant, les premières pages nous donnent le ton dès le départ puisque l'on assiste à une scène de violence entre le narrateur âgé d'une douzaine d'années et sa mère. Suite à cet épisode qui est sans doute habituel, l'adolescent décide de tout faire pour aller vivre chez son père... Avec ce dernier, il élabore un plan machiavélique. Il fait croire aux services sociaux que sa mère le frappe, photos à l'appui. Pour ce faire, il se donne lui-même des coups au visage. C'est l'occasion inespérée pour le père d'avoir la garde exclusive de ses deux garçons, de remporter "la guerre" contre son ex-femme :

"- Ça, ça va mettre fin à la guerre, a-t-il dit. Pas de garde des enfants. Pas de pension alimentaire. Grâce à ça, on va être libres. Libres de recommencer nos vies. Vous verrez. Au Nouveau-Mexique, je vais redevenir un gamin. On reviendra tous les trois des gamins." (page 15)


Même si on émet de sérieux doutes quant à la stabilité de la mère, nous nous apercevons rapidement que le père est un personnage néfaste. Il décide sur un coup de tête de quitter le Kansas pour s'installer à Albuquerque, loin de la mère des garçons. Coupés de leurs racines et de leur mère, les deux frères sont confrontés à un père violent, manipulateur et irresponsable. Il donne volontiers le volant à son fils aîné qui n'a pas le permis, il emmène ses fils dans les bars, il n'hésite pas à se montrer extrêmement violent avec eux s'ils ne lui obéissent pas. Puis, face à ce père qui s'enfonce dans la drogue, les deux frères n'ont pas le choix que de tout gérer pour survivre. 

"Mon frère n'allait pas en cours, obligé de rester à la maison pour s'occuper du classement des papiers, payer les factures, contacter des clients potentiels." (page 48)

Ce père est une figure écrasante qui n'hésite pas à manipuler ses enfants, quitte à les monter l'un contre l'autre pour arriver à ses fins. 

"- On est déjà au courant, papa, l'a interrompu mon frère.
- Au courant de quoi ?
- Que tu te drogues." (page 45)

Le lien qui unit les deux frères devient de plus en plus fort. Cette force fraternelle est bel et bien le seul sentiment positif dans ce roman noir. Malmenée par le père, cette amitié est leur seule chance de s'en sortir. D'ailleurs, étonnamment, c'est le père qui l'affirme :

"Les garçons, vous êtes si proches en âge que chacun doit pouvoir compter sur son frère. Quoi qu'il arrive, chacun doit protéger l'autre. Vous comprenez, hein ? Vous ne comprenez pas ? Ne me regardez pas comme ça. Pourquoi vous me regardez comme ça ? Regarde ton frère. 
Regarde ton frère, bon sang. 
On s'est tournés l'un vers l'autre.
- C'est ton frère pour la vie. Tu es sa dernière ligne de défense." (page 62)

Plus on avance dans l'histoire, et plus le regard du narrateur change sur sa mère. Son image est de plus en plus positive, elle devient même un refuge, un souvenir rassurant. Il réalise peu à peu l'emprise du père sur eux et comment cette manipulation l'a rendu aveugle. 

Ce premier roman met en lumière le passage violent de l'enfance à l'âge adulte, met à mal l'image de ce père exécrable, et fait la part belle au lien fort de ces deux frères qui font tout pour s'en sortir. Nous distinguons bien ici l'évolution des relations père-fils : les fils sont livrés à eux-mêmes et sont donc "obligés" de se prendre en charge seuls, de devenir adultes plus rapidement que prévu ; et le père est infantilisé ("(...) moi en train de bercer notre père" ; "On avait mis notre père au lit", page 110). On passe de l'image illusoire d'un père fort à une image désastreuse.
Mais alors comment échapper à la tyrannie d'un père ? Comment s'extirper de son emprise?

"J'ai grimacé en revoyant le bout rouge à vif à l'arrière du crâne de ma mère. Je n'arrivais pas à comprendre comment on avait fomenter ce guet-apens. Comment est-ce qu'on avait eu l'idée ? La réponse était évidente : on avait toujours été loyaux vis-à-vis de mon père. C'était lui le plus fort. On le craignait. Il avait besoin de nous. Son approbation lui avait toujours bien plus compté que celle de notrere - ça me donnait un sentiment de puissance." (page 73)

En bref, Comme un seul homme est un premier roman noir réussi, court et percutant sur l'affrontement de deux frères face à un père violent, manipulateur et dévastateur. Nous sommes bouleversés face à ces deux garçons qui adoraient leur père, et qui brutalement, sont livrés à eux-mêmes face à ce père qu'il ne reconnaissent pas. On perçoit aisément le lien indéfectible entre les deux frères. Mais suffira-t-il à les arracher de l'emprise de leur père ? A vous de le découvrir. 
Daniel Magariel est assurément un auteur à suivre.

Un grand merci aux éditions Fayard !



Comme un seul homme (One of the Boys), Daniel Magariel, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard, Fayard, collection littérature étrangère, 22 août 2018, 192 pages, 19 €, format Kindle : 13,99 €.

Bonus : la critique du New York Times





A bientôt ^^