mardi 25 avril 2017

Chanson douce

"Une haine monte en elle. Une haine qui vient contrarier ses élans serviles et son optimisme enfantin. Une haine qui brouille tout. Elle est absorbée dans un rêve triste et confus. Hantée par l'impression d'avoir trop vu,
trop entendu de l'intimité des autres,
une intimité à laquelle elle n'a jamais droit."


Auteur : Leïla Slimani
Editeur : Gallimard
Genre : Thriller
Date de parution : 18 août 2016
Nombre de pages : 227
Prix : 18 €
Prix format Kindle : 12,99 €

Prix Goncourt 2016


Présentation de l'éditeur

Lorsque Myriam, mère de deux jeunes enfants, décide malgré les réticences de son mari de reprendre son activité au sein d'un cabinet d'avocats, le couple se met à la recherche d'une nounou. Après un casting sévère, ils engagent Louise, qui conquiert très vite l'affection des enfants et occupe progressivement une place centrale dans le foyer. Peu à peu le piège de la dépendance mutuelle va se refermer, jusqu'au drame. A travers la description précise du jeune couple et celle du personnage fascinant et mystérieux de la nounou, c'est notre époque qui se révèle, avec sa conception de l'amour et de l'éducation, des rapports de domination et d'argent, des préjugés de classe ou de culture. Le style sec et tranchant de Leïla Slimani, où percent des éclats de poésie ténébreuse, instaure dès les premières pages un suspense envoûtant.

Mon Avis

Oui, j'ai enfin lu le prix Goncourt 2016. Il était temps. Il a fait couler beaucoup d'encre et plein de chroniques ont été publiées à son sujet. Je ne sais pas si je vais apporter quelque chose en plus, si mon avis tranchera avec les autres, mais peu importe !

Ne vous fiez pas à son titre. Le deuxième roman de Leïla Slimani n'a rien de doux et de délicat. La preuve, avec ses toutes premières lignes désormais connues :

"Le bébé est mort. Il a suffi de quelques secondes. Le médecin a assuré qu'il n'avait pas souffert. On l'a couché dans une housse grise et on a fait glisser la fermeture éclair sur le corps désarticulé qui flottait au milieu des jouets. La petite, elle, était encore vivante quand les secours sont arrivés. Elle s'est battue comme un fauve."

S'en suit une description appuyée de la scène de crime. Trois pages qui nous glacent le sang. On est pris instantanément à la gorge jusqu'à l'asphyxie. Après ces trois pages terribles, l'auteure détisse les fils de l'histoire jusqu'au drame. Une tragédie à l'envers. Pourquoi Louise, la nounou parfaite, a-t-elle sauvagement assassiné les deux enfants dont elle avait la garde ?

"La nuit, dans le confort de leurs draps frais, le couple rit, incrédule, de cette nouvelle vie qui est la leur. Ils ont le sentiment d'avoir trouvé la perle rare, d'être bénis. Bien sûr, le salaire de Louise pèse sur le budget familial mais Paul ne s'en plaint plus. En quelques semaines, Louise est devenue indispensable." (p.35).

Au fil des pages, on se met à déceler les signes annonciateurs du drame. On découvre alors que cette histoire n'a rien de simple : il ne s'agit pas d'un côté la nourrice perverse et manipulatrice, et de l'autre les parents qui n'ont rien vu. Cette histoire est beaucoup plus complexe que cela.

Il y a ce père, Paul, qui aime ses enfants mais qui a envie d'être libre, de vivre, quitte à retarder le moment de rentrer chez lui. Il y a cette mère, Myriam, avocate, qui n'a pas envie de sacrifier sa carrière au profit de ses enfants. Ce couple ambitieux, qui a soif de vivre, s'en remet alors entièrement à Louise. Louise, cette femme aux allures de fillette, en proie à une profonde mélancolie qui ne cessera de la tourmenter. A côté de ces trois personnages, il y a aussi cette société qui pousse les couples à devenir des parents parfaits, qui se nourrit de débats stériles et haineux (comme le débat écoles publiques/écoles privées mentionné dans le roman), qui abandonne les gens plongés dans une profonde solitude à leur sort.

Rapidement, on repère les failles de cette famille : ce couple qui confie ce qu'il a de plus cher à une personne dont il ne sait rien. Il ne lui parle jamais, ne l'interroge jamais. Et il y a cette nounou qui "creuse sa niche" dans l'espace familial, qui se livre à un jeu de manipulation. Le tout pour le lecteur est de savoir si ses intentions sont malsaines ou si au final, ce petit jeu est innocent.

Le style de l'auteur est magistral, sans détour. Le ton est glaçant et terrifiant. Dès le début, une lourde tension s'installe et ne nous quitte plus jusqu'à ce que l'on revienne au terrible drame de la première page. J'ai été bluffée par ce roman, à la structure bien pensée, qui a l'intelligence de ne pas prendre le parti du couple ni de l'assassin. L'auteure nous amène à réfléchir sur cette relation ambiguë entre les parents (notamment la mère) et la nourrice, mais aussi sur les dérives de la société d'aujourd'hui, comme les inégalités sociale et économique. J'ai apprécié la mise en lumière sur ces personnes profondément isolées, et la façon dont la solitude change un individu.

"La solitude, qui collait à sa chair, à ses vêtements, a commencé à modeler ses traits et lui a donné des gestes de petite vieille. La solitude lui sautait au visage au crépuscule, quand la nuit tombe et que les bruits montent des maisons où l'on vit à plusieurs. (...) Le monde entier l'avait oubliée." (p.102).

Chanson douce mérite-t-il le prix Goncourt ? Je ne pense pas être suffisamment qualifiée pour y répondre. Cependant, pour la première fois, j'ai été tentée de lire un prix Goncourt. Un thriller psychologique a été récompensé, et au plus haut niveau d'une récompense. Ce roman aborde dès les premières pages un sujet qui nous touche tous, celui de la mort de deux enfants. Cette relation contrastée entre ce jeune couple aisé et cette femme, aux allures de nourrice parfaite, si mélancolique et si seule, ne peut que nous toucher. Il nous incite à réfléchir. Alors, pour répondre tout de même à cette question, je dirais que oui, Chanson douce mérite ce prix.

En bref, Chanson douce est un thriller brillant, magistral et terrifiant. Nous sommes pris à la gorge dès les premiers mots. Cette manière de disséquer cette sombre histoire entre une famille et une femme crée une lourde tension qui ne quittera pas le lecteur. L'auteure décrit avec une réalité extrême le quotidien d'une famille vampirisée par une femme tourmentée. Bien mené et extrêmement bien écrit, Chanson douce mérite amplement son prix Goncourt. Avec un peu de retard, félicitations.


A bientôt pour une prochaine chronique ^^











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