mardi 17 juillet 2018

"Des nouvelles du monde" de Paulette Jiles

Trouver sa place


"Tu représentes une masse d'ennuis, dit-il. On sera bien contents tous les deux quand tu seras avec les tiens et que tu pourras 
transformer leur vie en enfer."



Présentation de l'éditeur

Après la guerre civile, le capitaine Jefferson Kyle Kidd parcourt le nord du Texas et lit à voix haute des articles de journaux, devant un public à ce point avide des nouvelles du monde qu'il est prêt à payer pour les entendre. Le vieil homme, veuf, qui a connu trois guerres et vivait jadis de son métier d'imprimeur, profite à présent de sa liberté pour sillonner les routes. Lors d'une étape à Wichita Falls, on lui offre une pièce d'or pour ramener une jeune orpheline à la famille qu'il lui reste, près de San Antonio. Quatre ans auparavant, des Indiens Kiowa avaient massacré ses parents et sa soeur, mais épargné la fillette, qu'ils avaient élevée comme une des leurs. A 10 ans, Johanna, les yeux bleus et les cheveux couleur sucre d'érable, vient une fois de plus d'être arrachée à son seul foyer par l'armée américaine. Le capitaine Kidd accepte cette mission, sachant combien le voyage sera long et difficile. Leur périple à travers des territoires vierges, sur des routes impitoyables, s'avère dangereux. Le gouvernement fédéral est aux mains d'une administration corrompue ; anarchie et illégalité ont pris le dessus. Le capitaine doit se méfier des voleurs, des Comanches et des Kiowas autant que de l'armée fédérale, et apprivoiser la sauvage Johanna. L'enfant a oublié l'anglais, elle tente de s'échapper à la moindre occasion, veut à tout prix se débarrasser de ses chaussures et refuse de se conduire de façon "civilisée" . Pourtant, au fil des kilomètres, elle baisse la garde pour se rapprocher de celui qu'elle nomme "Kep-Dun" . A San Antonio, un autre obstacle les attend, et le respectable vieil homme se retrouve face à un choix terrible qui décidera du sort de Johanna - mais aussi du sien. Paulette Jiles situe son roman dans un territoire à la fois beau et inhospitalier, et explore les limites de la famille, de la responsabilité, de l'honneur et de la confiance.


Mon Avis


Texas, hiver 1870. Le capitaine Jefferson Kyle - dit Capitaine Kidd -, 71 ans, ancien imprimeur et ancien soldat, gagne sa vie en lisant à voix haute des articles de journaux devant un public curieux. Loin de ses filles, Capitaine Kidd se sent seul et sa vie actuelle commence à l'ennuyer.

"Il ne supportait plus les problèmes et les émotions des autres. Depuis quelques temps, sa lui lui semblait médiocre et amère, un peu avariée ; c'était un sentiment assez récent. Un ennui diffus s'était insinué en lui, comme du gaz de houille, et il ne savait pas comment y remédier, si ce n'est en cherchant le silence et la solitude. Désormais, il avait hâte de terminer ses lectures." (page 13)

Sa route croise celle de Britt Johnson, un ami de longue date. Ce dernier lui confie, en échange d'une pièce d'or, une fillette de 10 ans, Johanna, capturée par la tribu amérindienne des Kiowas. Sa mission est de la ramener à la seule famille qui lui reste, à San Antonio, au sud du Texas. En effet, Johanna a vu ses parents mourir sous ses yeux avant d'être enlevée par les Kiowas. Elevée comme l'une des leurs pendant quatre ans, la fillette est persuadée que sa place est auprès de la tribu.

"Dans son esprit, elle marchait vers le désastre, une contrée où régnaient la dévastation et la famine. Tout autour d'elle, dans ces collines ondoyantes, il n'y avait ni bisons ni troglodytes des canyons qui déversaient leur chant. Dans cette contrée, il n'y avait ni Kiowas, ni mère, ni père. Elle était totalement seule, prisonnière d'un vêtement bizarre : une robe faite dans un tissu à rayures bleues et jaunes, serrée à la taille. On l'avait sanglée dans une chose qui, à ses yeux, possédait forcément des pouvoirs magiques, destinée à confiner son coeur et sa respiration dans une sorte de cage, pour la retenir éternellement, comme un poing fermé qui ne s'ouvrirait jamais." (page 43) 

Les enfants enlevés et élevés par les tribus amérindiennes au Texas est un fait réel que nous relate Paulette Jiles. Ceux-ci sont si attachés à leur tribu qu'ils ne se réadaptent pas complètement auprès de leurs familles d'origine. Puis, l'autrice s'est inspirée de Caesar Adolphus Kydd, premier lecteur de nouvelles dans les années 1870, pour créer son personnage du Capitaine Kidd. 

"Cynthia Parker s'était laissée mourir de faim lorsqu'elle était retournée auprès de ses parents blancs. Idem pour Temple Friend. D'autres personnes anciennement captives étaient devenues alcooliques, solitaires, bizarres. Des êtres étranges à l'esprit curieusement formé, jamais totalement une chose ou une autre. Comme l'avait bien dit Doris à Spanish Fort, ceux et celles qui avaient été enlevés enfants, puis rendus à leur famille, étaient tourmentés, avides de réconfort spirituel, abandonnés par deux cultures, des étoiles filantes sombres perdues dans l'espace." (page 140)

L'adaptation de Johanna à la vie américaine est très compliquée. C'est une enfant "sauvage". Par exemple, elle n'accepte pas de mettre une robe, des chaussures - Johanna finira par être constamment pieds nus -, elle ne parle pas l'anglais mais la langue des Kiowas. Pourtant, peu à peu, et non sans difficulté, Capitaine Kidd arrive à communiquer avec elle. Ces échanges laissent place lentement à une complicité touchante, voire même à un attachement mutuel émouvant. 

"Il se montra du doigt. Capitaine, dit-il.
Kep-ten, dit-elle.
Il pointa le doigt sur elle de nouveau.
Elle se raidit dans un moment de frayeur, mais rassembla son courage et dit : Chohenna.
Il se montra du doigt.
Elle dit : Kep-ten.
Très bien. Maintenant, on peut continuer." (page 47)

Cependant, le voyage de Johanna et du Capitaine Kidd ne sera pas de tout repos... entre les villes peu recommandables, l'armée fédérale, les Kiowas et les voleurs, leurs vies seront presque constamment en danger...

"Je le ferai, se dit-il. Je la ramènerai à ses parents même si je dégaine mon arme 
pour la dernière fois." (page 79)

Les points forts de ce roman sont assurément la relation forte et touchante de nos deux personnages. Solitaires tous les deux mais totalement différents, ils s'apprivoisent, se protègent mutuellement. Nous aimons la sagesse du Capitaine Kidd, sa simplicité. Nous aimons également la candeur et l'émotion que dégage le personnage de Johanna. En effet, quelle est sa place aujourd'hui ? Rejetée à la fois par les Kiowas et par la société américaine, la situation de la fillette rappelle celle des enfants qui ont été enlevés puis élevés par une tribu amérindienne avant d'être délivrés... Comment trouver sa place dans ce monde ? Nous apprenons que certains enfants dans la même situation que celle de Johanna ont tellement été traumatisés qu'ils ont mis un terme à leur vie. Paulette Jiles soulève ici un moment de l'Histoire américaine qui passe plutôt inaperçu. Elle aborde également des conflits politiques de l'époque, au Texas, qui donnent envie d'en savoir plus.

Enfin, le style de Paulette Jiles ressemble à celui que l'on croise dans les contes. Accessible, poétique, fluide, son écriture est un véritable plaisir de lecture. On ne peut qu'être happés par le récit de cette passionnée de la culture amérindienne.

"Peut-être que la vie se résumait à transporter des nouvelles. A survivre pour transporter des nouvelles. Peut-être n'avons-nous qu'un seul message. Un message livré à notre naissance et dont nous ne connaîtrons jamais vraiment le sens ; peut-être n'a-t-il aucun rapport avec nous, et pourtant nous devons le porter en personne, durant toute la vie, jusqu'au bout, et le remettre, scellé, à la fin." (page 137)

En bref, Des nouvelles du monde est un roman aux allures de western fascinant et intelligent. Ces deux personnages totalement opposés, Capitaine Kidd, l'ancien soldat et imprimeur, et la jeune Johanna, enfant sauvage, sont véritablement attachants. Nous voyons leur relation prendre de plus en plus d'ampleur, de force, de complicité. A travers la majesté des grands espaces américains, Paulette Jiles nous offre un roman à la fois sur les origines, la confiance, la différence. Sachez enfin que Des nouvelles du monde a été finaliste du National Book Award en 2016... Une pure pépite !

N.B. : Des nouvelles du monde sera adapté au cinéma ! Tom Hanks jouera même le rôle du Capitaine Kidd ! Même s'il n'est qu'en cours de production, il me tarde de le voir.



Un grand merci à La Table Ronde !


Des nouvelles du monde (News of the World), Paulette Jiles, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean Esch, Quai Voltaire, La Table Ronde, mai 2018, 240 pages, 21 €, format Kindle (VO) : 8,99 €.

Bonus : vidéo de City of Thousand Oaks (en anglais)






A bientôt ^^



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