dimanche 8 avril 2018

Premières lignes #33 : "Goodbye, Loretta" de Shawn Vestal

Ce rendez-vous hebdomadaire a été créé par Ma Lecturothèque.

Le principe est simple : il s’agit de présenter chaque semaine l’incipit d’un roman.

Ce rendez-vous est très intéressant car il nous permet de découvrir en quelques lignes un style, un langage, un univers, une atmosphère.

On choisit le livre que l'on veut : un coup de cœur, une lecture actuelle, un livre de sa PAL, un emprunt à la bibliothèque...

En ce dimanche pluvieux, j'ai choisi de vous faire découvrir les premières lignes d'un premier roman qui m'a beaucoup plu, Goodbye, Loretta de Shawn Vestal. Ma chronique sur ce livre sera publiée la semaine prochaine ! Bonne lecture !


Short Creek, Arizona, 1974. Loretta, quinze ans, vit au sein d'une communauté de mormons fondamentalistes et polygames. Le jour, elle se plie à l'austérité des siens, la nuit, elle fait le mur et retrouve son petit ami. Pour mettre un terme à ses escapades nocturnes, ses parents la marient de force à Dean Harder, qui a trente ans de plus qu'elle, une première femme et déjà sept enfants...
Loretta se glisse tant bien que mal dans son rôle d' « épouse-soeur », mais continue à rêver d'une autre vie, qu'elle ne connaît qu'à travers les magazines. La chance se présente finalement sous les traits de Jason, le neveu de Dean, fan de Led Zeppelin et du Seigneur des anneaux, qui voue un culte au cascadeur Evel Kneievel. C'est le début d'une aventure mémorable aux allures de road trip vers la liberté qui va vite se heurter à la réalité...
Un superbe roman, profond et drôle à la fois, qui nous plonge au coeur de la mythologie de l'Ouest américain, tant sacrée que profane.



EVEL KNIEVEL 
S'ADRESSE A UNE NATION QUI L'IDOLÂTRE



      La première fois que j'ai eu l'idée d'une cascade au-dessus d'un canyon ? Aujourd'hui, j'ai l'impression que j'ai toujours eu ça en tête. Comme si cette idée avait toujours été là pour que moi, Evel Knievel, j'y pense. Comment est-ce qu'on appelle ça, quand l'univers vous guide vers son propre objectif ? J'y croyais, Amérique. Je croyais pouvoir réussir tout ce que j'entreprenais. Tout ce que je promettais de faire. Je croyais en moi, Evel Knievel, et en ce que je disais. Je croyais que prononcer ces mots, c'était déjà les rendre réels.



6 juillet 1974

SHORT CREEK, ARIZONA


      Loretta fait coulisser la fenêtre de sa chambre et se fige, attentive aux bruits de la maison. Elle décroche la moustiquaire et la ramène lentement à l'intérieur. La nuit d'été, noir et bleu, est lourde d'étoiles charnues, comme hérissées d'épines, et d'effluves floraux de luzerne et de champs fraîchement arrosés. Elle balance une jambe par la fenêtre, puis l'autre, s'asseoit sur le rebord. Un craquement étouffé résonne, mais elle ne saurait dire s'il provient de la maison, de la nuit ou de ses nerfs à vif. Le jour, elle ne pense plus qu'à la nuit, à cet instant, toujours le même - le passage exaltant d'ici à là-bas. A cet avenir bref, momentané. A Bradshaw.
      Elle sa laisse tomber au sol, puis traverse la pelouse, voûtée comme pour échapper au faisceau d'un puissant projecteur. Elle porte son jean, le seul que son père l'a autorisée à acheter pour les corvées, et ses galoches. Ses vêtements de "gentille*". Les montagnes, rouges le jour, se détachent, noires et escarpées, sur l'encre profonde de la nuit. Leur maison se trouve à la marge de Short Creek, à la marge tout comme sa famille - à moitié étrangère, pas encore pleinement accueillie dans l'étreinte du prophète -, si bien qu'il est plus facile de s'échapper sans se faire repérer par les hommes de la communauté. La Brigade de Dieu, comme les appelle Bradshaw. Dès qu'elle aperçoit des phares, elle se tapit dans l'herbe du fossé jusqu'à ce qu'ils éloignent, mais ce soir la voie est libre. Elle remonte la tranchée sur cinq cent mètres, l'herbe tiède caressant ses chevilles nues, jusqu'à une route de campagne, où elle repère la Nova de Bradshaw garée sur le bas-côté, l'aile luisant faiblement, les feux de signalisation rougeoyant tels les yeux d'une bête étrange blottie contre la terre.

* Terme utilisé par les mormons pour désigner les non-mormons. (Toutes les notes sont du traducteur.)


Goodbye, Loretta (Daredevils), Shawn Vestal, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Olivier Colette, Albin Michel, collection "Terres d'Amérique", avril 2018, 350 pages, 23 €, format Kindle : 15,99 €.

Je vous souhaite un très bon dimanche.

A demain ^^





Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire