mercredi 10 janvier 2018

"Aquarium" de David Vann

Aimer, détruire, reconstruire

"L’ennui, à l’aquarium,
c’est qu’on ne pouvait jamais rejoindre les poissons."  


Présentation de l'éditeur


Caitlin, douze ans, habite avec sa mère dans un modeste appartement d'une banlieue de Seattle. Afin d'échapper à la solitude et à la grisaille de sa vie quotidienne, chaque jour, après l'école, elle court à l'aquarium pour se plonger dans les profondeurs du monde marin qui la fascine. Là, elle rencontre un vieil homme qui semble partager sa passion pour les poissons et devient peu à peu son confident. Mais la vie de Caitlin bascule le jour où sa mère découvre cette amitié et lui révèle le terrible secret qui les lie toutes deux à cet homme. La prose cristalline de David Vann nous apprend comment le désir d'amour et l'audace de la jeunesse peuvent guérir les blessures du passé. Aquarium est un pur moment de grâce offert par l'un des plus grands écrivains américains actuels.


Mon Avis

"C'était un poisson si laid qu'il ne ressemblait en rien à un poisson. Une pierre de chair froide envahie de mousse, tachetée de vert et de blanc. D'abord, je ne l'avais pas vu, puis je pressai mon visage contre la vitre et tentai de m'approcher. Enfoui dans une végétation impossible, la courbe de ses lèvres épaisses étirée vers le bas, une grimace en guise de bouche. Une petite perle noire pour l'œil. Mais aucun autre élément identifiable à un poisson.
Il est sacrément moche."
Ainsi s'ouvre Aquarium, publié pour la première fois aux Etats-Unis en 2015, sept ans après son roman sombre et percutant, Sukkwan Island. Ici, exit les grands espaces et les régions sauvages des îles de l'Alaska. Nous sommes dans la banlieue de Seattle, un secteur lugubre, grisâtre et triste, dans un petit appartement dans lequel "rien ne vit" et dans l'aquarium de la ville, véritable microcosme fascinant, plein de vie et de couleurs. La famille reste le thème principal de David Vann : après les relations père-fils de Sukkwan Island, l'auteur explore celles d'une mère et sa fille.

Pour échapper à la monotonie de son petit appartement, Caitlin, douze ans, se rend tous les soirs après l'école à l'aquarium de Seattle. Passionnée du monde aquatique, elle a l'ambition de devenir ichtyologiste et ne mange aucun poisson. Pendant qu'elle observe les espèces les plus singulières, elle se sent sereine, en sécurité. Et alors qu'elle regarde ce poisson si laid, elle fait la connaissance d'un vieil homme, "très vieux, du genre presque mort". Au fil du temps, elle se lie d'amitié avec lui. Il naît même entre ces deux personnages une relation de confiance. Lorsque la mère de Caitlin, Sheri, gruttière au port de Seattle, apprend cette amitié étrange, elle devient violente, hystérique et incontrôlable. Les secrets autour de Sheri et du vieil homme volent alors en éclats. Dorénavant, rien ne sera plus pareil pour Caitlin et sa mère.

Précieuse famille

Le thème de la famille est une fois de plus exploité par l'auteur. Caitlin et sa mère entretiennent une relation très fusionnelle, au point de s'accrocher, chaque soir, l'une à l'autre comme un "poisson-grenouille ne s'était jamais fixé à un rocher avec autant de puissance". L'arrivée du vieil homme dans leurs vies bouleverse tout. Sheri reconnaît cet homme qui a commis une lourde faute par le passé. Caitlin tient à lui, mais aime éperdument sa mère. Et cette mère imposante physiquement et au caractère bien trempé d'ordinaire, se transforme sous les yeux de sa fille, et devient un personnage violent, inquiétant et imprévisible :

"Je n'avais encore jamais vu ce côté violent de ma mère. C'était terrifiant, comme si quelqu'un avait vécu en elle tout ce temps, un être plus sombre. Je ne me sentais pas en sécurité" (page 103).

"Une furie tombée du ciel, une créature tout aussi primitive. Ce n'était pas ma mère. C'était autre chose, que je n'avais encore jamais vu. La rage en elle, bien plus grande que je ne l'aurais jamais imaginée." (page 141).

Sheri devra faire un long cheminement pour pardonner à cet homme. Arrivera-t-elle à accepter son retour et le laisser prendre sa place au sein de la famille qu'elle forme avec sa fille ? Aquarium est un magnifique roman sur le pardon et la reconstruction de la famille. L'enfance compte beaucoup également dans ce récit. On a le sentiment que l'auteur a puisé dans son propre passé pour nous transmettre cette fragilité de l'enfance :

"Le pire, dans l'enfance, c'est de ne pas savoir que les mauvais moments ont une fin, que le temps passe. Un instant terrible pour un enfant plane avec une sorte d'éternité, insoutenable. La colère de ma mère s'étirait à l'infini, une rage à laquelle nous n'échapperions jamais." (page 103).

Monde aquatique et monde extérieur

David Vann possède un talent singulier, celui de relier les paysages qu'il décrit avec la nature même de ses personnages. C'était le cas dans Sukkwan Island. Ici, il en est de même. L'aquarium est un monde plein de vie, de couleurs, il est calme et apaisant. C'est le lieu idéal pour Caitlin qui a besoin de se ressourcer, qui a besoin de sécurité. Le monde extérieur est ici triste, oppressant, violent, sale et gris. Ces deux univers différents sont habilement décrits par l'auteur, qui ne cesse de faire des parallèles entre eux :

"Une fois franchi le pont de la voie rapide, le centre-ville commençait. La pente déclinait lentement, de grands immeubles en formes de cales enfoncées dans le flanc de la colline, se cachant dans leurs grottes. Voûtés pour se protéger, comme si une menace monumentale nageait dans les cieux au-dessus. Au bout, un gratte-ciel courageux au toit pointu essayait de ne pas paraître trop tendre. La ville entière, un récif de corail fait d'un réseau interminable de petites cellules." (page 34).

Un message écologique

Les pages d'Aquarium sont régulièrement ornées d'illustrations de poissons rares, en voie de disparition. L'auteur par ailleurs ne manque pas de nous faire passer un message écologique sur la survie des poissons.

"Nous en savons tant sur l'acidification des océans, alors je devrais haïr les méduses, messagères de tout ce que nous avons détruit. De mon vivant, les récifs auront fondu, se seront dissous. D'ici la fin du siècle, presque tous les poissons auront disparu. (...) La triste étendue de notre stupidité est accablante." (page 63).

Des personnages secondaires lumineux

David Vann sait maîtriser ses personnages. Ils sont forts, mémorables, cohérents, profonds. Il en est de même pour ses personnages secondaires, Steeve, le petit ami de Sheri, un peu nonchalant mais très positif ; et Shalini, copine d'école de Caitlin, d'origine indienne et personnage qui illumine la vie de notre héroïne.

En bref, Aquarium est un roman remarquable sur le pardon et la refondation d'une famille malgré le poids du passé. Les descriptions et les connexions entre le monde aquatique et le monde des Hommes sont le fruit d'un talent incontestable. Aquarium est raconté à la manière d'un conte, tout en poésie. Même s'il n'est pas aussi marquant que Sukkwan Island, ce livre s'inscrit parmi les grands romans de la littérature américaine. Fascinant et remarquable. Plongez dans l'univers singulier de David Vann.   



Un grand merci aux éditions Gallmeister !

Aquarium (Aquarium), David Vann, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Laura Derajinski, Gallmeister, collection Nature Writing, octobre 2016, 270 pages, 23 €.

Bonus : Interview de David Vann par la librairie La Galerne du Havre :




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A bientôt pour une prochaine chronique ^^





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