vendredi 1 septembre 2017

"Ces rêves qu'on piétine", de Sébastien Spitzer

"Il a fait des centaines de kilomètres. Presque autant que le rouleau de cuir qu'il a caché dans la doublure de sa veste. La mémoire des camps.
Témoin écrit de leurs vies effacées."


Présentation de l'éditeur


Sous les bombardements, dans Berlin assiégé, la femme la plus puissante du IIIe Reich se terre avec ses six enfants dans le dernier refuge des dignitaires de l'Allemagne nazie. L'ambitieuse s'est hissée jusqu'aux plus hautes marches du pouvoir sans jamais se retourner sur ceux qu'elle a sacrifiés. Aux dernières heures du funeste régime, Magda s'enfonce dans l'abîme, avec ses secrets.

Au même moment, des centaines de femmes et d'hommes avancent sur un chemin poussiéreux, s'accrochant à ce qu'il leur reste de vie. Parmi ces survivants de l'enfer des camps, marche une enfant frêle et silencieuse. Ava est la dépositaire d'une tragique mémoire : dans un rouleau de cuir, elle tient cachées les lettres d'un père. Richard Friedländer, raflé parmi les premiers juifs, fut condamné par la folie d'un homme et le silence d'une femme : sa fille.

Elle aurait pu le sauver.

Elle s'appelle Magda Goebbels.




Mon Avis

Il existe des livres qui laissent en nous une trace indélébile. Avez-vous déjà ressenti cette sensation ? En lisant le premier roman de Sébastien Spitzer, j'ai été émue, bouleversée. Je l'ai terminé il y a plusieurs semaines et j'y pense encore. Et il me hantera longtemps. Par conséquent, plus de doute possible : ce livre est beaucoup plus qu'un coup de cœur, c'est une révélation, un incontournable, un intouchable. Il fait partie de ceux qui ne quitteront jamais ma bibliothèque. Croyez-moi, ce roman en touchera plus d'un. Il fera des ravages. Tout simplement parce qu'il nous plonge dans l'horreur de la Seconde Guerre Mondiale, avec d'un côté ces survivants des camps qui tentent d'échapper à une mort certaine, et de l'autre, cette femme ambitieuse et contaminée par la folie nazie, Magda Goebbels, surnommée la "première dame" du Troisième Reich.


Quel est le lien entre ces prisonniers qui cheminent sur la Marche de la mort et Magda Goebbels, adulée du peuple allemand et d'Adolf Hitler ? Richard Friedländer. Un commerçant, allemand et juif, père "adoptif" de Magda. Il voue un amour considérable à celle qu'il a toujours considéré comme sa fille. Raflé, il continue malgré la faim, le froid, l'épuisement, la maladie, à lui écrire des lettres. Des lettres contenues dans un rouleau de cuir, celui que porte Aimé, un prisonnier parmi tant d'autres qui ont quitté le camp de Stöcken suite à l'avancée des Alliés. Il contient également dans sa veste d'autres missives de prisonniers. Ce rouleau renferme les vies anéanties, l'humanité, l'identité de ceux qui ne sont plus, les témoins de l'horreur des camps.



"Depuis qu'il a quitté le camp de Stöcken, il est passé devant des familles entières, des ouvriers, des villageois, des prêtres qui se signaient, des enfants qui coursaient son wagon pour lui cracher dessus, emportant avec lui des lambeaux de haine."
(page 17).

Face à ces hommes, ces femmes et ces enfants qui tentent de rester en vie, l'auteur nous dresse un portrait saisissant de Magda Goebbels, épouse de Joseph Goebbels, ministre de la propagande nazie. Manipulatrice, ambitieuse, fourbe, elle jouit d'une grande popularité en Allemagne. A la fin de la guerre, lorsque Berlin est bombardée par les Soviétiques, elle se réfugie dans le Führerbunker avec son époux et ses six enfants. Là, on s'immerge dans son passé, celui d'une petite fille d'origine juive que son père biologique ne reconnaîtra pas tout d'abord. Nous apprenons énormément sur cette femme, sur son enfance, sa montée vers l'extrémisme, son fanatisme envers l'idéologie hitlérienne, son détachement total envers ses origines.

"A quarante-cinq ans, deux mariages, sept enfants, trois villas, deux berlines, dont une somptueuse Hispano-Suiza, une cuisinière, des caves où vieillissent les plus grands crus d'Europe, des films par dizaines tournés tout à sa gloire, des robes de soie, des milliers de photos d'elle, Magda s'y connaît en apparences. Elle est même passée maître dans l'art de fourber son monde, de duper les plus simples, de berner les glorieux, trigaudant des faussetés pour préserver sa place, son profit, son mieux-être. Puissante et respectée." (page 14).

Lorsque le rouleau de cuir parvient entre les mains de la petite Ava, enfant mutique née dans le KZ-Bordell d'Auschwitz, elle est la dernière dépositaire de la mémoire du camp. A travers l'histoire de sa mère, Fela, on apprend l'existence du Block 24 d'Auschwitz, transformé en bordel par Himmler pour "récompenser" les détenus "méritants". Le Block 24-A, ce grand tabou de l'Histoire, cette partie du camp que l'on connaît que trop peu...

L'auteur rend hommage à certaines figures historiques tombées en désuétude, à l'instar de Stanislava Leszczynska (Ava tient d'ailleurs son nom de cette femme comme beaucoup de petites filles nées à Auschwitz), sage-femme qui sauva la vie de nombreuses femmes et nouveau-nés. Ou la photographe américaine Lee Miller (Lee Meyer dans le roman), qui prit les premiers clichés des camps de concentration et d'extermination à leur libération.

"Une reporter américaine s'approche des survivants. Ils échangent quelques mots, des sourires de libération. Elle tend son appareil, attend un signe d'assentiment et lève son objectif. Eux s'en moquent. Grattent les allumettes fournies, tirent les premières bouffées et se mettent à fumer, le visage vers le ciel.
Espèrent.
Ces photos feront le tour du monde."

Enfin, quant au style, caractérisé notamment par des phrases courtes, hachées, il est brillant, addictif et magistral. Fruit de nombreuses années de travail, ce roman est puissant, dense, percutant et nécessaire. Journaliste et historien de formation, Sébastien Spitzer réussit à nous ébranler, à nous émouvoir et à nous rappeler l'horreur de cette guerre qui a anéanti plus de 60 millions de vies humaines. Dans sa postface, l'auteur nous fournit la liste de ses sources bibliographiques. Très enrichissant.

En bref, Ces rêves qu'on piétine est un premier roman et surtout un très grand roman. Il fait partie de ceux qu'on garde précieusement sur notre étagère. Il fait partie de ceux que l'on peut relire encore et encore, même si le sujet est très dur. C'est un incontournable. Il nous aide à comprendre la folie et l'inimaginable. Il nous en apprend tellement sur ces destins tragiques d'hommes, de femmes et d'enfants anonymes, sur ces figures historiques, fanatiques ou libératrices, puis sur la nature humaine, ses bons côtés ou sa folie. Le symbole de ce rouleau de cuir, contenant les missives de Richard Friedländer et d'autres prisonniers, transmis de main en main est un symbole absolument fort. Ces lettres portent le cri des détenus, de ceux qui ont lourdement souffert et qui se sont éteints, épuisés. Elles dénoncent les conditions de vie exécrables des camps. Enfin, elles rappellent au monde que ces hommes et que ces femmes ont une histoire, un passé, un nom, une famille. Qu'ils ont tous eu une vie. Jusqu'à ce que leurs rêves soient piétinés. Cependant, l'espoir perdure et Ava porte cet espoir, cette détermination et cette envie de vivre. Un roman de la rentrée littéraire à lire d'urgence.


Au-delà du



Ces rêves qu'on piétine, Sébastien Spitzer, Editions de l'Observatoire, 23 août 2017,    304 p., 20 €, Format Kindle : 13,99 €.

Un grand merci aux éditions de l'Observatoire ainsi qu'au Comité de lecture Cultura !


Ces rêves qu'on piétine a reçu le Prix Stanislas 2017 et il est finaliste du Prix Fnac 2017 ! Félicitations à Sébastien Spitzer et à toute l'équipe des éditions de l'Observatoire !



Bonus : interview de Sébastien Spitzer par le blog Entre les lignes






A propos de la maison d'édition...




Les éditions de l'Observatoire est une toute jeune maison d'édition, et cette année, elle fait sa première rentrée littéraire. Outre ses magnifiques photographies et illustrations colorées qui ornent ses couvertures, elle a pour vocation de "porter des voix et des formes différentes, plus ou moins grand public, pour donner à voir et à comprendre le monde" (Lisa Liautaud, directrice littéraire des Editions de l'Observatoire ; propos recueillis par Karine Papillaud, Lecteurs.com). J'ai eu la chance de découvrir L'Absente de Noël de Karine Silla (que j'ai adoré !) et je vais lire sous peu N'écrire pour personne de A.L. Snijders. Une maison d'édition très pro et prometteuse (et très sympathique !) ! J'ai hâte de lire leurs futures publications.






A bientôt pour une prochaine chronique ^^



Pour tout savoir sur la rentrée littéraire du net, un événement créé par Piko Books, cliquez ici !


Je vous souhaite de très belles lectures.






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