samedi 2 septembre 2017

"Nulle part sur la terre" de Michael Farris Smith


Noir c'est noir, il y a de l'espoir

"Il passa un doigt sur la cicatrice qui lui fendait le cou d’une oreille à l’autre, camouflée sous sa barbe naissante. Égorgé vif, mais vivant. Égorgé vif, mais guéri. Égorgé mais pas assez. Coup de bol, ils avaient dit. Un miracle, ils avaient dit. Mon cul, avait-il dit."





Présentation de l'éditeur

Une femme marche seule avec une petite fille sur une route de Louisiane. Elle n'a nulle part où aller. Partie sans rien quelques années plus tôt de la ville où elle a grandi, elle revient tout aussi démunie. Elle pense avoir connu le pire. Elle se trompe.

Russel a lui aussi quitté sa ville natale, onze ans plus tôt. Pour une peine de prison qui vient tout juste d'arriver à son terme. Il retourne chez lui en pensant avoir réglé sa dette. C'est sans compter sur le désir de vengeance de ceux qui l'attendent.

Dans les paysages désolés de la campagne américaine, un meurtre va réunir ces âmes perdues, dont les vies vont bientôt ne plus tenir qu'à un fil.

Michael Farris Smith possède un style et un talent d'évocation totalement singuliers qui vont droit au cœur du lecteur. Avec ces personnages qui s'accrochent à la vie envers et contre tout, il nous offre un magnifique roman sur la condition humaine.


Mon Avis

Ce roman noir américain a fait parler de lui avant sa sortie. Et en bien. En très bien même. Des libraires ont eu un coup de cœur pour lui et curieuse comme je suis (et en grande adepte de romans noirs que je suis), j'avais envie de le découvrir à mon tour.


Déjà, la couverture. Je ne sais pas si elle vous a interpellée, mais cette station-service déserte m'a fortement fait penser à La Route, roman de Cormac McCarthy. Mieux encore, le récit débute avec Maben et sa fille de 5 ans, Annalee, qui déambulent seules au bord de la route. La jeune femme porte sur son épaule un sac-poubelle qui contient toutes leurs affaires, tout ce qu'il leur reste, c'est-à-dire quelques vêtements. Leurs peaux sont brûlées par le soleil. Elles marchent vers McComb, une petite ville du Mississippi. Cette femme et cette petite fille m'ont fait penser à l'homme et à son fils de La Route.

Suite à de multiples coups du sort, Maben est contrainte de retourner dans la ville où elle a grandi. Elle est partie de là-bas avec rien. Elle y retourne avec rien, mis à part sa fille. Pratiquement sans argent, elles dorment dans les toilettes d'une station-service. Leurs affaires, tout ce qu'elles possèdent, tiennent dans un sac-poubelle.

"Ca n'avait pas marché à la Nouvelle-Orléans et ça n'avait pas marché à Shreveport, et la seule chose qu'elle avait réussi à Beaumont c'était de concevoir la fillette et elle ne savait pas très bien au fond pourquoi le Mississippi à part le fait que c'était la case départ. Elle était partie avec rien sinon une bouche de plus à nourrir." (page 80)

Pour faire plaisir à sa fille qui désire regarder des dessins animés et dormir dans un vrai lit, Maben loue une chambre dans un motel, pour une nuit. Cette nuit-là, le sort de Maben ne s'arrangera pas, bien au contraire. La jeune femme est désormais une fugitive. Le lendemain, elles arrivent enfin à McComb, où personne ne les attend. Elles trouvent refuge dans un foyer. Pas rassurée, Maben cherche néanmoins un petit boulot pour vivre enfin une vie normale avec sa fille. Mais rien ne se passe comme prévu.

"Elle errait depuis si longtemps. Son esprit n'était qu'une brume et ses souvenirs s'y perdaient, et quand bien même elle avait croisé des gens et des moments dignes d'être gardés en mémoire, aucun n'aurait pu lui être d'un quelconque secours à cet instant. Y a-t-il quelqu'un, quelque chose qui pourrait m'aider à me sortir de la merde dans laquelle je me suis fourrée ?" (page 84)

L'autre personnage principal, Russell, sort de prison après onze années de détention. Arrivé à McComb, il descend du bus lorsque deux hommes viennent à sa rencontre pour le passer à tabac. L'un des deux hommes lui jure qu'il paiera pour ce qu'il a fait. Russell qui n'aspire qu'à vivre une vie tranquille, se voit régulièrement harcelé, agressé, menacé par ces deux hommes. Son seul allié est son père, qui vit dans une ville à proximité. Mais la vie de Russell est bouleversée : sa mère est décédée pendant son incarcération, son ex-fiancée Sarah s'est mariée avec un autre homme et a fondé une famille. Il a tout à reconstruire.

Ces deux personnages sont profondément humains et très attachants. On a envie de savoir ce qu'ils deviennent, on a envie que leur situation s'arrange enfin, qu'ils puissent enfin vivre une vie normale. Maben est démunie, elle ne possède rien, tout comme Russell. Ils n'ont plus que leur détermination. Malgré les nombreux coups du sort, l'adversité et la culpabilité, ces deux personnages ont une envie farouche de vivre.

L'auteur suit les codes du roman noir en dénonçant les travers de la société américaine, l'institution carcérale et la religion, en donnant une voix aux oubliés du rêve américain. Ainsi, dans ce roman nous croiserons des flics corrompus et criminels, mais aussi des personnages solidaires, des personnages qui n'ont pas pris toujours les bonnes décisions mais qui restent émouvants et humains.

Le style de l'auteur est assez particulier mais je n'ai pas eu de mal à m'y faire. L'auteur aime les multiples énumérations, le changement de personne (il y a des passages de la 3e à la 1ère personne du singulier), le style légèrement oralisé. Michael Farris Smith possède sa propre plume, unique, franche et magnifique à la fois.

En bref, Nulle part sur la terre est un excellent roman noir, digne des plus grands romans américains. J'ai ressenti beaucoup de peine en quittant Maben et Russell, ces deux personnages blessés par la vie, mais qui s'y accrochent malgré les coups durs, malgré la culpabilité. C'est un roman poignant, à la fois sombre et lumineux, sur la rédemption et le pardon. Un roman qui me fait penser à La Route de McCarthy, mais aussi à Là où les lumières se perdent de David Joy (d'ailleurs ce dernier et Michael Farris Smith sont amis). Le caractère profondément humain de ses personnages, son style unique, son talent à nous émouvoir font de Michael Farris Smith un grand écrivain. A lire et à suivre absolument.



Un grand merci aux éditions Sonatine !



Nulle part sur la terre (Desperation Road), Michael Farris Smith, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Pierre Demarty, sortie le 24 août 2017, 450 p., 21 €.

Bonus : lisez le super entretien avec Michael Farris Smith, par le blog Nyctalopes.







A bientôt pour une prochaine chronique ^^




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