vendredi 15 septembre 2017

"Nitro Mountain" de Lee Clay Johnson

Noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir


"A l'ouest toute, les montagnes égratignaient le ciel. La nuit, on apercevait une lumière rouge au sommet de
Nitro Mountain."



Présentation de l'éditeur

Dans une ancienne région minière des Appalaches ravagée par la pauvreté, l’ombre de Nitro Mountain s’étend sur la cohorte de laissés pour compte, junkies, piliers de comptoir, vauriens et marginaux sublimes qui y vivent. Jones, un musicien bluegrass qui se donne avec son groupe dans des bars glauques, prend sous son aile Leon, un jeune homme paumé qui ne se remet pas de sa rupture avec la séduisante, torturée et bouleversante Jennifer. Celle-ci a eu la mauvaise idée de tomber sous la coupe d’Arnett, un truand psychopathe aussi terrifiant que fascinant, reconnaissable au tatouage Daffy Duck qu’il porte au cou. Quand Turner, ex-flic cinglé à la gâchette facile qui a troqué son arme de service pour une arbalète, se met en tête d’arrêter Arnett, suspecté de meurtre, afin de regagner son insigne, les choses ont déjà commencé à tourner à l’aigre.
Un roman noir pénétrant, des personnages tordus, désespérés, et diablement attachants : Lee Clay Johnson fait une entrée fracassante en littérature à travers ce récit envoûtant, imbibé de whiskey et de drogues dures, sur fond de musique country.

Mon Avis

La différence est perceptible : si dans Nulle part sur la terre de Michael Farris Smith, l'auteur nous laissait entrevoir une lueur d'espoir et de rédemption pour ses personnages, son compatriote, Lee Clay Johnson, est moins conciliant avec les siens : non, dans Nitro Mountain, il n'y a presque aucun espoir. Il nous emmène avec ses personnages dans les limbes du désespoir. Mais attention, il n'est pas question d'ennui ici, bien au contraire. Ici règnent humour noir, drogues, alcool et musique country.

"Arrange-toi pour ne pas être là quand je sortirai, a-t-elle dit.
— Mais tu vas faire comment si je suis pas là ?
— C'est fini entre nous. Je m'en vais.
— S'il te plaît, ai-je imploré. Non."
Elle s'est avancée vers le diner sans se retourner, a passé une main dans ses cheveux, à la porte, et vérifié qu'elle était belle avant d'entrer. Elle était belle. On voyait à peine le soleil dans le ciel en cette fin novembre.
Des nuages se dispersaient au-dessus des montagnes, au nord-ouest. La nuit tombait très tôt à cette période de l'année, il n'y avait jamais beaucoup de jour." (page 10).

Au début du récit, nous sommes avec Leon, un jeune homme peu ambitieux, un peu idiot, qui se laisse vivre entre petits boulots dans un foyer de sans-abris ou dans une supérette. Il joue de temps en temps dans un groupe de country en tant que bassiste. Sa vie est bouleversée le jour où sa petite amie Jennifer rompt avec lui. C'est une jeune femme encore plus paumée que lui, au passé violent, à l'enfance volée, qui ne sait pas faire la différence entre le bien et le mal. Mais Leon l'aime. Elle s'est trouvé un nouveau copain, Arnett, un personnage costaud, et certainement le plus déluré et le plus dangereux que j'ai pu croiser dans mes lectures. Arnett, reconnaissable grâce à son tatouage Daffy Duck sur le cou, est une véritable ordure, un psychopathe, un tueur. Lorsque Leon dénonce en douce ses activités de voyeur à la police, (Arnett avait en effet placé une caméra dans les toilettes des femmes d'un bar...), notre psychopathe cherche à retrouver celui qui a mis fin à ses activités perverses. De son côté, Jennifer n'en peut plus d'Arnett et de ses coups. Elle demande à Leon de le liquider. C'est le moment pour Leon de briller enfin et de sauver celle qu'il aime. Il se fait "engager" par Arnett pour retaper sa maison dans les bois. Leon veut passer à l'action. Mais les choses ne se déroulent pas comme prévu...

Ce roman noir n'est décidément pas comme les autres. Ses personnages sont tous désespérés ou désespérants, torturés, fous, drogués, mais au final, même Arnett devient presque attachant. C'est un ramassis de loosers, qui font ce qu'ils peuvent malgré tout mais qui, au final, s'enfoncent dans la misère.

"C'est pathétique", a-t-il dit et il m'a donné un coup de pied dans le flanc. L'air s'est échappé de mes poumons comme s'il y avait eu une crevaison. Je ne pouvais pas tenir debout, je ne pouvais rien dire, j'étais incapable de réfléchir. J'aurais dû lui demander si c'était tout,
mais je continuais à fixer Jennifer.
  "Partons d'ici, a-t-elle dit en le tirant par la manche. Allez, viens. Avant qu'il se relève.
— On ne peut pas le laisser là.
— Ca lui fera les pieds", a-t-elle dit." (page 17) 

Le début de la deuxième partie démarrent sur les chapeaux de roue. Un retournement de situation nous laisse pantois, sans voix, le souffle coupé. On n'a envie que d'une chose : savoir comment l'auteur va faire évoluer son intrigue, quelles seront les conséquences de ce coup dur, de cette bombe qu'il nous a lâchée, là, à nos pieds, au début de cette fameuse deuxième partie. L'ambiance change, de noire elle devient lourde, pesante, irrespirable. Puis arrivent d'autres protagonistes, des policiers (qui comme toujours dans les romans noirs sont corrompus et violents), et plus rien n'arrête l'escalade de la violence créée par l'auteur américain.

En parallèle, Lee Clay Johnson nous relate l'histoire de Jones, un musicien à la tête du groupe dans lequel joue Leon. Il est à la recherche de la chanson parfaite. Même si ce personnage est certainement celui qui est le plus raisonnable, il m'a moins intéressée. J'ai préféré suivre Leon et Arnett. Ce dernier personnage a beau être un véritable monstre, il a su me faire rire quelques fois (humour noir, bien sûr !), et à la fin du récit, je me suis rendue compte au final qu'il pouvait se révéler presque attachant, jusqu'à une certaine limite.

"Il avait le visage tellement bouffi qu'on aurait dit qu'il avait été piqué par une espèce d'insecte géant. Et puis il possédait de nombreuses armes à feu. Vraiment plein. Depuis qu'il avait emménagé ici, il avait pris l'habitude d'aller tuer - pas chasser, tuer -, puis d'embaumer les cadavres avec des bains de natron qu'il confectionnait lui-même ; les pièces du haut en étaient remplies. (...) Certains animaux étaient fixés au mur, et non pas juste entassés au sol, quelques-uns étaient déjà en train de pourrir." (page 100).

Enfin, j'ai moins apprécié le style de l'auteur, assez neutre, parfois un peu brouillon. J'aurais aimé peut-être un peu de poésie, d'émotions. Mais peut-être que l'auteur a voulu adopter pour son premier roman un style qui reflète l'atmosphère du roman, sombre, violent et dépourvu d'espoir. La seule étincelle d'espoir qui apparaît dans le récit est bel et bien la musique. Il faut préciser que l'auteur est lui-même musicien et qu'il a grandi au sein d'une famille de musiciens bluegrass.

En bref, Nitro Mountain est un très bon roman noir, très noir, mais qui ne ressemble à aucun autre. Ici, aucun espoir pour les personnages. Ils sont tous instables, tarés, violents, peu ambitieux, et vivent dans une misère sociale et intellectuelle déplorable. Tout au long du roman, on est sur le fil du rasoir : chaque personnage est capable du pire, musicien ou flic. Mais aucun n'est véritablement capable du meilleur... Finalement, on est surpris de voir qu'au final, le personnage le plus attachant de tous est peut-être le pire de toute cette brochette. Bref, Nitro Mountain est une très bonne référence du roman noir. Il est original et son point fort reste sans aucun doute ses personnages désespérés, mais forts et charismatiques.





Un grand merci aux éditions Fayard et au Comité de lecture Cultura.

Nitro Mountain (Nitro Mountain), Lee Clay Johnson, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Nicolas Richard, Fayard, collection littérature étrangère, 300 p., sortie le 30 août 2017, 20,90 €, format Kindle : 14,99 €.




Bonus : l'interview de Lee Clay Johnson par La Fringale Culturelle !


A bientôt pour une prochaine chronique ^^





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