vendredi 1 septembre 2017

Premières lignes #06

Ce rendez-vous hebdomadaire a été créé par Ma Lecturothèque.

Le principe est simple : il s’agit de présenter chaque semaine l’incipit d’un roman.

Ce rendez-vous est très intéressant car il nous permet de découvrir en quelques lignes un style, un langage, un univers, une atmosphère.

On choisit le livre que l'on veut : un coup de cœur, une lecture actuelle, un livre de sa PAL, un emprunt à la bibliothèque...



Je vous partage aujourd'hui les premières lignes d'un livre inoubliable, qui fait partie de mes incontournables.



1



   Un pas. Une pierre. Un chemin de poussière. Un printemps qui bourgeonne. Au fond bruisse un torrent. De loin.
   Des bruits. Mille pas. Tous aussi mal cadencés.
   "Il y aura bien une halte, plus tard, pense-t-il. Cette longue marche forcée s'arrêtera un jour."
   Aimé sent la brise, infime et infiniment douce. Il se gonfle, écarte les bras, incline ses paumes comme des voiles pour capturer le moindre souffle, sa misaine, sa trinquette. Il dodeline de la tête et décolle cette veste aux fibres cartonneuses, gavées de saisons froides et sèches.
   Il sait qu'ils sont des milliers comme lui, à arpenter les routes des territoires de l'Est. Des cohortes de guenilles maculées de mois de crasse, tiraillées par le manque. La faim, la soif, les proches, l'avenir. Des cadavres en mouvement. Survivants, comme lui. Il en reste. Ils sont là. Ils marchent en colonnes ordonnées. Aimé baisse la tête. Il profite des minces silhouettes qui lui font un peu d'ombre. Il ferme les paupières un instant pour chasser ces gouttes acides qui lui piquent les yeux. Se reprend. Pas le choix. Pas le temps. Pas le droit de se laisser aller. S'il ferme les yeux trop longtemps, il risque de faire un pas de côté et de sortir du rang. Il a retenu la leçon. Pour survivre, il faut s'oublier. Oublier l'épuisement. Oublier les blessures. Oublier ce creux au bide. Oublier ses besoins et les odeurs d'urine et de merde qui leur collent à la peau parce qu'ils n'ont pas d'autre choix que de se chier dessus, sans perdre la cadence.

Ces rêves qu'on piétine, Sébastien Spitzer, Editions de l'Observatoire, 304 p., 20 €.



Je vous souhaite de très belles lectures et un bon week-end !

A bientôt pour une prochaine chronique ^^



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