vendredi 20 octobre 2017

"Le Camp des autres" de Thomas Vinau

"Aux réfugiés et aux refuges"


"Elle est alors devenue le refuge de ceux qui se refusaient à l'homme et de tous ceux que l'homme refusait.
Elle est l'autre camp. Le camp des autres."





Présentation de l'éditeur

Un roman éblouissant sur la liberté de l'enfance, la nature et l'insoumission. Ou comment Gaspard, l'enfant de la forêt rencontre les personnages légendaires de la Caravane à Pépère qui défraya la chronique au début du XXe siècle.
Gaspard fuit dans la forêt. Il est accompagné d'un chien. Il a peur, il a froid, il a faim, il court, trébuche, se cache, il est blessé. Un homme le recueille. L'enfant s'en méfie : ce Jean-le-blanc est-ce un sorcier, un contrebandier, un timbré ? Une bande de saltimbanques surgit un beau matin. Ils apportent douze vipères pour que Jean-le-blanc en fasse des potions. L'enfant décidera, plus tard, de s'enfuir avec eux.
Cette aventure s'inspire d'un fait historique. En 1907, Georges Clémenceau crée les Brigades du Tigre pour en finir avec " ces hordes de pillards, de voleurs et même d'assassins, qui sont la terreur de nos campagnes ". Au mois de juin, la toute nouvelle police arrête une soixantaine de voleurs, bohémiens, trimardeurs et déserteurs réunis sous la bannière d'un certain Capello qui terrorisait et pillait la population en se faisant appeler la Caravane à Pépère. La démonstration de force de Clémenceau aboutira au final deux mois plus tard à de petites condamnations pour les menus larcins de cette confrérie errante de bras cassés.
"Je l'ai gardée au chaud cette histoire qui poussait, qui grimpait en nœuds de ronces dans mon ventre en reliant, sans que j'y pense, mes rêves les plus sauvages venus de l'enfance et le muscle de mon indignation. Alors j'ai voulu écrire la ruade, le refus, le recours aux forêts", explique Thomas Vinau à propos ce quatrième roman puissant, urgent, minéral, mûri trois ans durant.


Mon Avis

"Le givre fait gueuler la lumière. Lorsqu'il a voulu ouvrir les yeux, sa paupière gauche était encore collée par le sang. Il passe plusieurs minutes, mains en coupe autour du visage, à tenter de réchauffer lentement par son haleine la peau tuméfiée de ses joues, les croûtes sur ses arcades fendues, l'arc-en-ciel de coups sur sa petite tronche d'ange écrasée."


Vous avez lu ces quelques phrases. Les avez-vous appréciées ? Les avez-vous savourées ? Vous en voulez plus ? Je vous en parle maintenant.


Le nouveau roman de Thomas Vinau s'ouvre sur les quelques lignes ci-dessus. Ce premier passage m'a tellement subjuguée que je n'ai pas pu interrompre ma lecture jusqu'au tout dernier mot. Ce "il", c'est Gaspard, un jeune garçon dont on ne sait pratiquement rien. Cependant, on devine dès la première page qu'il s'est enfui de chez lui, qu'il a fui son père violent, que son chien l'a sauvé de ses griffes (et de ses coups de poings). Sans maison, avec pour seule compagnie son chien blessé, Gaspard erre dans les profondeurs de la forêt et tente de survivre. Dans Le Camp des autres, la forêt est animée. Elle est vivante, elle est pleine de couleurs et de sons. 

"Le noir tombe comme une couverture trop grande et à mesure que la lumière se tamise on entend toute une nouvelle musique qui monte entre les branches. Des bruits qui n'étaient pas là avant ou que personne n'écoutait. Les clochettes glacées de l'eau un peu plus loin. Les arbres qui font craquer leurs vertèbres. Le froissement des ailes et des feuilles mêlées. La terre qui se recroqueville en croustillant. Des fouissements dans les buissons." (page 29)

"Dans le ventre sauvage d'une forêt, la nuit est un bordel sans nom. Une bataille veloutée, un vacarme qui n'en finit pas. Un capharnaüm de résine et de viande, de sang et de sexe, de terre et de mandibules. Là-haut la lune veille sur tout ça." (page 31)


L'auteur souligne les rôles si particuliers de la forêt : berceau du monde, elle est crainte par les hommes. Mais elle est également et surtout, un refuge pour tous ceux qui sont rejetés, isolés. Il nous offre un formidable et saisissant hommage à la nature, à la forêt. Tout cela orchestré par une plume poétique riche, magnifique, brute. La structure, avec ses très courts chapitres (en moyenne une page et demi), rend la lecture aisée et prenante.

Gaspard et son chien, au bout de leurs forces, sont recueillis par Jean-le-blanc qui habite dans la forêt. Considéré comme un "sorcier", il fabrique des potions à base de plantes et de venin de serpent. "C'est la dose qui fait le poison", a-t-il conclu. De ce fait, si tu apprends à maîtriser les recettes, les doses et les effets, le venin t'obéira. Tu pourras tuer, blesser, endormir et même soigner. C'est pareil avec les plantes, les bêtes, les champignons". Il accepte de recueillir Gaspard à la condition qu'il devienne son apprenti. Le jeune garçon découvre un monde dense et fascinant. Jean-le-blanc lui révèle tous les secrets et les codes de la forêt, "une langue, une science et une œuvre d'art. Tout peut te sauver ou t'achever. Ici il n'y a pas de maître."

Mais Gaspard a une envie brûlante de liberté et d'identité. Il décide de suivre une bande constituée de déserteurs, de voleurs, d'anciens prisonniers évadés, qui se fait appeler "La Caravane à Pépère", "légion et mère des sans-légions et des sans-mères". Cette bande, qui a réellement existé entre 1906 et 1907, est dirigée par Jean Capello. Elle est bientôt traquée par les hommes de Clémenceau, qui veut en finir avec "ces hordes de pillards, de voleurs et même d'assassins".

"(...) ce peuple d'indomptés dont personne ne voulait, ne lui paraissait pas pire que les autres. Pas de démon, pas de cannibales, pas d'enfant volé ou donné aux porcs comme dans les histoires. (...) Juste des fuyards comme lui, qui ont plus d'un tour dans leur sac. Juste des nuisibles, éperdus et sans licol. Affamés. Prêts à prendre leur dû." (page 106).

Comme l'explique Thomas Vinau à la fin du roman, Le Camp des autres est né suite à la déclaration du ministre de l'Intérieur en 2013, lorsqu'il évoquait "l'incapacité du Rrom à s'adapter à nos modes de vie et sa vocation à retourner dans son pays". Le Camp des autres est une réaction impulsive et poétique face à la haine. Une ode magnifique dédiée aux réfugiés et aux refuges, aux "sans-famille", aux "sans-abri", aux "sans-papiers", aux "sans-patrie". 

En bref, Le Camp des autres est un roman sublime sur la liberté, sur ces exclus qui se refugient dans la forêt, un lieu tantôt effrayant, tantôt accueillant, un lieu où "il n'existe pas de maître". Ce roman est également une quête d'identité avec ce personnage de Gaspard qui tente de reconstruire sa vie après avoir subi la violence de son père. Le Camp des autres rend hommage aux exclus en mentionnant la bande de la Caravane à Pépère, poursuivie par les Brigades du Tigre de Clémenceau. On ne peut évidemment pas s'empêcher de faire le rapprochement avec notre époque à nous, à tout ce qui se passe actuellement...
Un roman magnifique écrit par un virtuose des mots. 



Merci aux éditions Alma et au Comité de lecture Cultura !

Le Camp des autres, Thomas Vinau, Alma, 24 août 2017, 194 pages, 17 €, format Kindle : 11,99 €.


Bonus : Allez visiter l'excellent blog de Thomas Vinau ici !


A bientôt pour une prochaine chronique ^^








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