vendredi 6 octobre 2017

"Six-Quatre" de Hideo Yokoyama

Dans les tréfonds de la police japonaise...

"Son sang bouillait dans ses veines. Le sang d'un flic. C'était la seule explication à la rage qui le transformait tout entier en un poing serré."




Présentation de l'éditeur :

Une fillette a été enlevée et assassinée à 100 km de Tokyo, en 1989, an 64 du règne de l'empereur Shôwa. Nom de code de l'affaire : Six-quatre. L'inspecteur Mikami faisait partie de l'équipe chargée de la traque mais le ravisseur avait réussi à fuir avec la rançon. Impossible pour lui d'oublier cet échec cuisant, que la récente et mystérieuse disparition de sa propre fille ne fait que rappeler... Presque quatorze ans ont passé, dans le même commissariat, il dirige le service des relations presse. On lui demande d'organiser la couverture médiatique de la visite du grand chef de la Police nationale, destinée à montrer que les recherches continuent. Si les journalistes, en plein bras-de-fer avec les RP, veulent bien se prêter au jeu... Pour organiser la visite, Mikami se rend au domicile du père de la fillette. Ce dernier semble en vouloir à la police. Y aurait-il un loup caché ? Pourquoi les officiers ayant suivi le Six-quatre ont-ils changé de service ou démissionné ? Et que sont ces " Notes Kôda " que le chef du personnel semble à tout prix vouloir retrouver ? Soudain, tout s'accélère : un nouvel enlèvement a lieu... Yokoyama promène le lecteur à travers les doutes de Mikami, et brosse un tableau de la société japonaise, de la presse et des enjeux d'une information en temps réel.


Mon Avis

Le roman s'ouvre ainsi. Un homme et sa femme se rendent à la morgue. Le corps d'une lycéenne a été retrouvé dans un lac. Ils s'y rendent pour l'identifier. Est-ce leur fille Ayumi qui a disparu ? Heureusement, ce n'est pas le cas. Cependant, l'homme, le commissaire Mikami, est le lendemain l'objet de critiques acerbes de la part de journalistes. Il a en effet dû s'absenter lors d'une réunion pour se rendre à la morgue. Mikami est le directeur des relations publiques de la police japonaise. Il subit beaucoup de pression vis à vis de ses supérieurs et des journalistes, capricieux et immoraux. A côté de ça, il doit faire face à la fugue de sa fille Ayumi, dont il n'a aucune nouvelle, et à la dépression de sa femme. 

Mikami est un commissaire droit dans ses bottes, fier d'appartenir à la grande famille que forme la police. Du moins, il y a quelques années. Car même si toutes les polices du Japon veillent à la moindre nouvelle concernant sa fille, Mikami a peur d'être muté des Enquêtes criminelles, service qu'il affectionne. 

"La méfiance envers l'organisation couvait en lui. A quoi s'ajoutait, bien plus fort encore, un sentiment de peur inédit. Il s'était investi à corps perdu dans le travail, hanté qu'il était par l'épée de Damoclès de la "prochaine mutation" (p. 20).

Mais il se retrouve muté finalement au service des relations publiques, dans lequel il doit gérer l'agressivité et les caprices incessants des journalistes. Il se rassure en pensant qu'il réintégrera la brigade dans deux ans, comme l'ont suggéré ses supérieurs. Cependant, gérer les relations avec la presse est loin d'être simple :

"Les journalistes se comportaient avec une authentique insolence à l'égard d'une section dont la raison d'être se réduisait, à leurs yeux, à mettre à leur disposition les communiqués officiels."
(pp. 23-24).

"Akama avait pris grand soin de lui exposer les motifs de son affectation : "Les médias d'aujourd'hui n'ont plus ni morale ni principes, ils se bornent à critiquer les erreurs de la Maison dans le seul but de saper son autorité et nous ne saurions tolérer cela." (page 21).

En plus des journalistes médisants, Mikami est chargé de préparer la venue du grand patron de la police nationale au sein de leur commissariat. Amamiya, le père d'une fillette kidnappée puis assassinée il y a 14 ans refuse l'invitation de la police. Mikami veut en comprendre la raison et se retrouve plongé malgré lui dans cette ancienne affaire, le Six-Quatre.

"..."le six-quatre"... Le nom de code pour l'affaire, vieille de quatorze ans, de l'enlèvement et de l'assassinat de la petite Shôko. (...) La rançon de vingt millions de yens avait été adroitement récupérée, la fillette de sept ans kidnappée retrouvée affreusement mutilée. L'auteur demeurait inconnu. L'affaire n'était toujours pas close." (page 45).

Amamiya, homme ravagé par les décès de sa fille puis de sa femme, semble en vouloir à la police. Mikami essaie de découvrir la vérité mais se heurte à un mur, à une implacable loi du silence de la part de ses supérieurs et de ses collègues. Il se retrouve confronté à un choix terrible : respecter cette loi du silence ou dénoncer les failles de la police, trouver la vérité, bref, faire son devoir de policier. Lorsqu'un autre kidnapping a lieu, les choses s'accélèrent pour Mikami. 

Notre commissaire doit également en plus de résoudre une enquête vieille de quatorze ans, épauler sa femme dépressive suite à la fugue de leur fille, et vivre avec sa propre culpabilité. Il s'en veut en effet d'avoir minimisé le mal-être de sa fille unique.

"En primaire, c'était une enfant pleine de dynamisme. (...) Le changement s'était produit à son passage au collège. (...) Elle avait cessé d'aimer être prise en photo ; jeté dans la poubelle d'une supérette l'annonce du jour de visite parentale de la classe. (...) Elle avait manqué l'école le jour de la photo de classe pour l'album de fin d'études au collège. (...) Ayumi avait fréquenté le lycée un peu plus de quinze jours. Puis elle avait refusé de sortir de la maison, s'était enfermée dans sa chambre au premier étage." (page 111).

L'auteur dénonce ici les limites de la société japonaise, extrêmement codifiée. En effet, la moindre réflexion, la moindre affirmation, le moindre comportement a une répercussion importante sur le groupe. Si les médias reflètent une image totalement négative, la police n'est pas en reste : il y règne complots, menaces et dissuasions mesquines. Entre tous ces personnages malhonnêtes, Mikami tente d'avancer, de convaincre, de délier les langues, de briser cette loi du silence qui empêche la résolution du meurtre de la petite Shôko. 

Six-Quatre est un roman très dense, très détaillé, très riche. Nous sommes en permanence avec Mikami, cet homme dur, froid, mais qui est droit dans ses bottes. Néanmoins, sa culpabilité et son chagrin ne nous sont pas dissimulés, au contraire. Nous le suivons dans ses doutes, ses peurs, sa recherche de la vérité. Et évidemment, parfois sa vie intime s'insinue dans sa vie professionnelle : trouver le meurtrier de la petite Shôko est certainement le seul moyen pour lui d'avancer, d'être utile et de supporter l'absence inexpliquée de son enfant. 

En bref, Six-Quatre est un très bon roman policier très dense et fascinant. On suit notre commissaire Mikami dans l'exploration d'une société japonaise très complexe, extrêmement codifiée, et parfois cruelle. Le respect des hiérarchies et la politesse réglementée renforcent cette loi du silence, les complots, les non-dits, les menaces à peine voilées. Ces codes entravent la résolution de l'affaire du Six-quatre, et par conséquent, mènent au désespoir du père et à la mort de la mère de la petite fille. Hideo Yokoyama dénonce ici les limites et les caractères dangereux de la société japonaise. Une très bonne découverte de la rentrée littéraire qui mérite qu'on s'y intéresse !



Un grand merci aux éditions Liana Levi !

Six-Quatre (Rokuyon), de Hideo Yokoyama, traduit du japonais par Jacques Lalloz, éditions Liana Levi, collection Policiers, sortie le 21 septembre 2017, 624 pages, 23 €, format Kindle : 17,99 €.
 



A bientôt pour une prochaine chronique ^^





1 commentaire:

  1. Tu confirme mon sentiment sur ce roman. Je ne l'ai pas lu mais il me tente beaucoup.

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