mercredi 25 octobre 2017

"Underground Railroad" de Colson Whitehead

Odyssée américaine en train fantôme


"Regardez au-dehors quand vous filerez à toute allure,
vous verrez le vrai visage de l'Amérique."

Présentation de l'éditeur

Cora, seize ans, est esclave sur une plantation de coton dans la Géorgie d'avant la guerre de Sécession. Abandonnée par sa mère lorsqu'elle était enfant, elle survit tant bien que mal à la violence de sa condition. Lorsque Caesar, un esclave récemment arrivé de Virginie, lui propose de s'enfuir, elle accepte et tente, au péril de sa vie, de gagner avec lui les Etats libres du Nord. De la Caroline du Sud à l'Indiana en passant par le Tennessee, Cora va vivre une incroyable odyssée. Traquée comme une bête par un impitoyable chasseur d'esclaves qui l'oblige à fuir, sans cesse, le "misérable coeur palpitant" des villes, elle fera tout pour conquérir sa liberté. L'une des prouesses de Colson Whitehead est de matérialiser l'"Underground Railroad", le célèbre réseau clandestin d'aide aux esclaves en fuite qui devient ici une véritable voie ferrée souterraine, pour explorer, avec une originalité et une maîtrise époustouflantes, les fondements et la mécanique du racisme. A la fois récit d'un combat poignant et réflexion saisissante sur la lecture de l'Histoire, ce roman, couronné par le prix Pulitzer, est une oeuvre politique aujourd'hui plus que jamais nécessaire.


Mon Avis

Bon nombre d'écrivains ont écrit sur l'esclavage. On ne compte plus les romans historiques qui l'ont dénoncé. Mais Underground Railroad n'est pas à proprement parler un roman historique. Il mêle en effet réalisme et métaphores. L'Underground Railroad est un réseau d'aide aux esclaves fugitifs. Dans le roman de Colson Whitehead, c'est un véritable chemin de fer souterrain qui s'arrête dans chaque Etat. L'auteur a fait preuve d'une originalité singulière, celle de dire le vrai avec des métaphores. 

Au XIXe siècle, Cora a 16 ans lorsqu'elle décide de s'enfuir de la plantation de coton avec un autre esclave, Caesar. Sa grand-mère, Ajarry, a été arrachée aux siens, en Afrique, puis envoyée de force en Amérique où elle fut achetée par le vieux Randall, maître de la plantation de coton. Mabel, la mère de Cora fut la seule de ses cinq enfants qui ait survécu et dépassé les 10 ans d'existence. Mabel a réussi à s'enfuir de la plantation, abandonnant Cora à son sort. Tout ce que sa grand-mère et sa mère lui ont laissé, c'est ce lopin de terre qu'elle tente de défendre face aux autres esclaves qui le convoitent. L'auteur nous montre le système de la plantation, la vie que les esclaves mènent, les châtiments monstrueux, la misère des esclaves, les rares "privilèges" que certains d'entre eux peuvent obtenir, la violence entre esclaves. 

"La bizarrerie de l'Amérique, c'était qu'ici les gens étaient des choses." (page 16)

Cora finit par s'enfuir de la plantation avec Caesar. Ils sont poursuivis par Ridgeway, un dangereux chasseur d'esclaves, et ses acolytes, qui semblent sortir tout droit d'un western :

"Une semaine plus tard, le tristement célèbre chasseur d'esclaves Ridgeway se rendit sur la plantation. Il surgit à cheval avec ses acolytes, cinq hommes à la mine patibulaire, sous la conduite d'un effrayant éclaireur indien qui arborait un collier d'oreilles racornies. (...)
Ridgeway mesurait un mètre quatre-vingt-dix, il avait le visage carré et la nuque épaisse d'un marteau. Il conservait en toutes circonstances un tempérament serein mais parvenait à installer une atmosphère menaçante, tel un front d'orage qui paraît d'abord lointain mais éclate soudain avec une violence fracassante." (page 60)

"Ridgeway était dans les parages pour rendre visite à un planteur voisin et lui apporter comme preuve de leur capture les têtes de deux fugitifs dans un sac en cuir." (page 61)

Lorsque Cora et Caesar parviennent à l'arrêt de l'Underground Railroad en Géorgie, ils rencontrent des chefs de gare, des Blancs abolitionnistes, des hommes et des femmes qui n'hésitent pas à aider les fugitifs au péril de leur vie. Cora et Caesar vont prendre ce train souterrain qui les mènera dans différents Etats : la Caroline du Sud, la Caroline du Nord, l'Indiana, l'Oregon. Chaque Etat a son propre système. Les conditions des Afro-américains sont toutes différentes selon les Etats. En Caroline du Sud, les fugitifs peuvent avoir un logement et un emploi... mais en échange, ils doivent participer à des expérimentations médicales (dont une stérilisation forcée). En Caroline du Nord, les fugitifs sont pendus ou lynchés. En Indiana, ils disposent d'une semi-liberté, mais la violence a toujours le dessus. En Oregon, ils font l'objet d'une interdiction de séjour... Cora se rend compte qu'elle a fui la plantation pour trouver une liberté... illusoire. Elle est une prisonnière permanente sur cette terre américaine. 

"Quel est ce monde, pensa-t-elle, qui fait d'une prison vivante votre seul refuge. Etait-elle libérée de ses liens ou prise dans leur toile ? (...) La liberté était une chose changeante selon le point de vue, de même qu'une forêt vue de près est un maillage touffu, un labyrinthe d'arbres, alors que du dehors, depuis la clairière vide, on en voit les limites." (page 235)

"Regardez au-dehors quand vous filerez à toute allure, vous verrez le vrai visage de l'Amérique." Ce sont les paroles de Lumbly, un chef de gare. Evidemment, dans ce train souterrain, lorsque Cora regarde par la vitre, elle ne voit absolument rien. "Il n'y avait que ténèbres, kilomètre après kilomètre." (page 96). L'auteur voudrait-il nous dire que sous le vrai visage de l'Amérique se dissimule violence et illusion ?

"Et l'Amérique est également une illusion, la plus grandiose de toutes. La race blanche croit, croit de tout son cœur, qu'elle a le droit de confisquer la terre. De tuer les Indiens. De faire la guerre. D'asservir ses frères. S'il y avait une justice en ce monde, cette nation ne devrait pas exister, car elle est fondée sur le meurtre, le vol et la cruauté." (page 372)

Enfin, que vous faut-il de plus pour que vous lisiez ce grand roman ? Barack Obama l'a salué. Il a reçu le Prix Pulitzer et le National Book Award 2017. Et il va bientôt être adapté au cinéma par Barry Jenkins (réalisateur de "Moonlight"). Que demander de plus ?

En bref, une écriture cinématographique, des descriptions réalistes et un univers imaginaire original, Underground Railroad dépeint une intrigue criante de vérité. Colson Whitehead a ce talent incroyable de mêler réel et imaginaire pour dénoncer une vérité historique : l'esclavage et cette Amérique violente, impitoyable. Parler du passé pour aborder le présent. Un hommage aux esclaves et à tous ceux qui les ont aidés. Remarquable. Un classique de la littérature américaine à lire absolument.



Underground Railroad (The Underground Railroad), Colson Whitehead, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Serge Chauvin, Albin Michel, collection Terres d'Amérique, août 2017, 416 pages, 22,90 €, format Kindle : 15,99 €.

Bonus : la vidéo de présentation, très intéressante, des éditions Albin Michel 






A bientôt pour une prochaine chronique ^^






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